Sortir du piège du low cost
Sortir du piège du low cost
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Quand on a voulu lancer nos baskets, on avait en gros deux options pour la matière :
Le cuir bovin nous a paru être le meilleur choix. Son confort et sa résistance sont très difficiles à reproduire artificiellement. Eh oui : c’est quand même la peau d’un animal qui peut vivre dehors toute l’année.
Les principaux avantages du cuir animal par rapport au cuir synthétique :
Mais tout le monde ne voyait pas les choses du même oeil que le nôtre.
Tout a commencé en août 2019. On expliquait sur Instagram ce qu’il y a de bien avec notre porte-cartes en cuir quand tout à coup :
Et même plus récemment, sous la vidéo de notre TEDx, entre deux commentaires enthousiastes :
En gros, on nous disait que le cuir polluait et tuait des animaux, et qu’on ne pouvait donc pas être une marque éthique et fabriquer des produits en cuir.
Et pour être tout à fait honnête, on s'est rendu compte qu'on ne s'était pas posé suffisamment la question. D’ailleurs, si plein de marques dites "éthiques" abandonnent purement et simplement cette matière, c’est peut-être qu’il y a une bonne raison. Alors il était temps de vraiment de déterminer si on peut se considérer éthique et vendre du cuir. Ça impliquait de creuser trois énormes aspects du cuir :
Avant de commencer, précisons une chose : oui, consommer du cuir encourage un peu l’élevage. On le dit parce que ce n’est pas du tout ce qu’affirme l’industrie du cuir. Selon eux, la valeur économique du cuir ne représente qu’une petite partie de la valeur d’une vache1, donc même si on arrêtait de revendre les peaux, on continuerait d’élever des vaches pour le lait et la viande. Bref, le cuir ne serait qu’un coproduit de l’industrie du lait et de la viande et industrie du cuir ne ferait que “valoriser des déchets”, qu’il faudrait autrement incinérer ou les laisser pourrir en décharge. Une sorte d’upcycling ancestral.
C’est en partie vrai, mais c’est quand même un peu trop facile… Si la peau des vaches n’était pas revendue, la rentabilité de l’élevage serait un petit peu moins élevée. Ça ne serait pas immédiat, mais sur le long terme, on peut imaginer qu’il y aurait un peu moins d’élevage.
La question du bien-être animal se pose donc bien pour le cuir.
D’ailleurs, elle se pose dans une bien plus grande mesure pour le lait2 qui représente la majeure partie de la valeur d’une vache laitière. Il n’y a pas de vache qu’on élève pour son lait que l’on ne tue ensuite pour sa viande – les vaches laitières finissent dans votre assiette. Dans ces conditions, si l’on considère qu’une entreprise n’est pas éthique car elle utilise du cuir, on doit porter le même jugement sur toutes celles qui utilisent du lait, du beurre, etc.
Avant de se faire prendre à partie sur ce sujet, on faisait un peu l’autruche sur les aspects éthiques de l’élevage. On avait bien vu passer quelques vidéos atroces d’abattoirs filmés par L214, mais on se disait qu’il restait possible de bosser avec des éleveurs qui font les choses bien et respectent leurs animaux.
Il faut dire que dans notre société urbaine de consommation, on est assez éloignés des réalités de l’élevage. Si on ne regarde que la pub et le marketing, on a l’impression que tout va bien.
En fait, on a tellement détourné le regard qu’aujourd’hui, l’élevage industriel est devenu la norme, même en France. Vous savez : les poulets élevés en batterie, les cochons qui ne voient jamais la lumière du jour et vivent toute leur vie sur un minuscule morceau de sol bétonné…
Mais quand on parle de cuir, c’est surtout à l’élevage bovin qu’il faut s’intéresser. Cette intensification est moins prononcée en France et en Europe (seulement 13% d’élevage intensif en France pour les vaches), mais ça l’est dans d’autres pays. Aux Etats-Unis par exemple, on favorise les parcs d’engraissement ou « feed lots » (des élevages intensifs de plus de 1000 bêtes) : les bêtes entassées dans des conditions atroces avec utilisation d’hormones de croissance, engraissement aux farines animales ou antibiotiques utilisés comme activateurs de croissance.
Comment a-t-on pu en arriver là ? En fait, c’est parce que la plupart d’entre nous n’accordons pas la même importance aux intérêts des animaux qu’à ceux des humains. On se dit que c’est “normal” ou “naturel” de manger de la viande, du fromage, de boire du lait ou de porter du cuir. Que c’est ce que les humains font depuis la nuit des temps, donc pas besoin de se retourner le cerveau sur ces questions de bien-être animal.
Mais en creusant le sujet, on a bien dû se rendre à l’évidence : nous devons accorder la même importance aux intérêts des animaux qu’à ceux des humains.
On vous explique tout maintenant. Si ça ne vous intéresse pas particulièrement, vous n’êtes pas obligés de lire ces lignes pour comprendre le reste de l'article et vous pouvez cliquer ici pour les sauter. Mais si vous ne connaissez pas du tout le sujet, ça peut vous intéresser.
Le premier penseur antispéciste s’appelle Peter Singer. Il pèse pas mal : son bouquin “La Libération Animale” écrit dans les années 70 a été vendu à plus d’un million d’exemplaires.
Selon lui, les “spécistes”, c’est-à-dire ceux qui considèrent les intérêts des animaux différemment de ceux des humains, adoptent les mêmes mécanismes de pensée que les racistes (qui considèrent les intérêts des autres “races” différemment) ou que les sexistes (qui considèrent les intérêts de l’autre sexe différemment). Toujours selon lui dans quelques décennies, vu les conditions dans lesquelles on élève les animaux aujourd’hui, nos enfants ou nos petits-enfants regarderont l’humanité contemporaine comme on regarde aujourd’hui les esclavagistes ou les hommes qui battent leur femme.
Quoi ? Au départ, quand on a entendu ça, on a commencé à dégainer (intellectuellement) un paquet d’objections pour justifier notre existence de mangeur de viande et de fromage, et de consommateur de cuir. Voici les principaux arguments qu’on a formulés… et comment les antispécistes nous ont rembarré à chaque fois :
1/ “C’est normal de faire de l’élevage, les humains ont toujours mangé de la viande ou porté du cuir.”
Ce à quoi les antispécistes répondent : “C’est vrai, mais ce n’est pas parce qu’une pratique est ancienne qu’elle est éthique. On a organisé des combats d’animaux pendant longtemps, ce n’est pas pour ça qu’on doit continuer. Et puis on est 7 milliards aujourd’hui, ça peut demander de changer nos pratiques par rapport au néolithique.”3
2/ “Mais manger de la viande, c’est naturel : regardez les animaux, ils se mangent entre eux."
Ce à quoi les antispécistes répondent : “Naturel ne veut pas dire moral. Certains animaux sont cannibales ou se violent entre eux. Est-ce qu’on doit les imiter pour autant ? Et puis certains carnivores sont obligés d’en manger d’autres pour survivre, pas nous.”
3/ “Ok mais on est d’une autre espèce, on a le droit. On est des humains, ce sont des ANIMAUX, c’est quand même pas la même chose ?”
Ce à quoi les antispécistes répondent : “Dire cela, c’est une croyance totalement arbitraire : ce n’est pas différent du comportement d’un esclavagiste qui discriminerait des personnes noires sur la base de leur couleur de peau”.
4/ “Mais c’est pas pareil : nous on a des facultés bien supérieures aux autres animaux : on est plus intelligent, on sait parler, utiliser des outils…”
Ce à quoi les antispécistes répondent : “Imaginons une société qui discrimine en fonction de l’intelligence par exemple. Les bébés ou les personnes en situation de handicap mental sévère sont moins capables de raisonner que les chimpanzés. Faudrait-il donc accorder des droits supérieurs aux chimpanzés pour autant ? C’est bien sûr impossible. Et on pourrait avoir le même type de raisonnement sur chacune des autres facultés humaines : on a appris lors des dernières décennies que certains animaux peuvent utiliser des outils, maîtriser des langages, avoir une conscience d’eux-même, etc. Il n’est donc pas pertinent de discriminer les êtres vivants en fonction de leurs facultés.”
5/ “Bon, mais il y a quand même une preuve qu’on doit manger des animaux, c’est qu’on a besoin de vitamine B12 pour survivre, qu’eux-seuls peuvent synthétiser”.
Ce à quoi les antispécistes répondent : “En effet, certains animaux comme les ruminants synthétisent la vitamine B12 via les bactéries présentent dans leurs intestins. Mais est-ce que c’est un problème de prendre des suppléments ? Après tout, on donne déjà des suppléments de vitamine D aux bébés pour compenser le manque de soleil et on enrichit le sel avec de l’iode pour éviter le crétinisme.”
6/ “Mais ça poserait des problèmes pour notre alimentation : l’agriculture traditionnelle n’est pas possible sans animaux. Il faut forcément fertiliser les sols avec du fumier (des déjections d’animaux) comme on l’a fait depuis la nuit des temps.”
Ce à quoi les antispécistes répondent : “Faux : on n’a pas besoin des animaux pour cultiver.”
Aaargh, ils sont énervants quand même. Alors on a passé du temps à défricher cette question sur l’agriculture. Et on a conclu que là aussi, ils ont (en partie) raison : l’agriculture traditionnelle sans animaux et sans engrais chimiques est tout à fait possible, même si elle est un peu moins facile. On vous explique pourquoi ci-dessous.
Parenthèse : une agriculture sans animaux est-elle possible ?
Si on regarde notre histoire, on pourrait penser que les animaux sont indispensables au maintien de la fertilité des sols. Depuis l’Antiquité jusqu’au début de l’agriculture industrielle, dans toute l’Europe, on a utilisé des systèmes de rotation de cultures4 avec une année de jachère. Rien à voir avec les jachères actuelles imposées par la PAC qui sont juste des terrains nus. A l’époque, la jachère signifiait qu’on laisse le sol se reposer en faisant pousser une prairie et qu’on la fait pâturer par des animaux (c'est-à-dire qu'on laisse les animaux brouter l'herbe toute la journée, la digérer et la rejeter sous forme de fumier riche en nutriments pour le sol). Les tentatives de supprimer cette jachère en la remplaçant par de simples cultures restituantes en azote ont montré une diminution des rendements sur le long terme à cause des manques de phosphore ou de potasse (les principaux nutriments indispensables pour les plantes sont l’azote, le phosphore et la potasse)… Comme l’affirme l’agronome Pierre-Paul Dehérain au XIXe siècle : “pour que la jachère ait été conservée pendant des siècles, il fallait qu’elle eût quelques avantages.” Bah oui : si on avait trouvé un système agricole plus productif, on aurait laissé tomber les animaux depuis longtemps, non ?
Oui mais voilà.
Depuis quelques décennies, nos connaissances en agronomie ont évolué. On sait maintenant que tout est cyclique et que les animaux ne “créent” pas de nutriments. Au XIXe siècle, on a compris que ce qui faisait l’intérêt des prairies en jachère, ce ne sont pas les animaux qui pâturent dessus mais surtout 1- certaines plantes qui fixent l’azote de l’air 2- l’activité des champignons mycorhiziens qui se plaisent particulièrement sous les prairies et qui permettent aux plantes de mieux fixer le phosphore et la potasse. Du coup, les animaux d’élevage ne sont plus que des intermédiaires inutiles : on peut très bien faire une jachère efficace sans animaux. Mais ce n’est pas fini : dans les années 70, on a même compris comment fixer le phosphore et le potassium sans faire de rotation des cultures : par exemple, on peut couvrir le sol de jeunes branches d’arbres broyées (du bois raméal fragmenté) pour recréer une sorte d'humus forestier qui favorise le développement des champignons mycorhiziens. Bref, dans la majeure partie du monde, on peut maintenant parfaitement imaginer de faire une agriculture cyclique sans animaux. Et il y a plein d’exemples dans le monde de personnes qui y arrivent déjà avec succès.
Alors adieu veaux, vaches, cochons ? Les animaux ne servent-ils absolument à rien dans le cadre d’une agriculture traditionnelle ? Non, ça serait aller un peu vite.
D’abord, le fumier permet de faire des “transferts de fertilité”. Par exemple, on peut faire pâturer les animaux dans les prairies non cultivées (40% des terres arables en France) ou non cultivables (en moyenne montagne par exemple), puis mettre les animaux à l’étable pendant la nuit ou l’hiver et y récupérer le fumier, avant de l’épandre sur les terres cultivées. Bref, les animaux ne créent pas de nutriments mais ils permettent de les concentrer sur certaines parcelles et donc de booster les rendements. C’est magique : ça permet d’avoir une production agricole plus élevée à travail humain équivalent (même si le potentiel de création de calories est moins grand : cela fournirait plus de calories si on cultivait à la fois le champ et la prairie).
D’autre part, les animaux rendent beaucoup de services aux agriculteurs, comme par exemple les poules qui mangent les insectes nuisibles aux cultures ou les cochons et les chèvres qui mangent les restes et nettoient les parcelles des ronces et des racines.
Enfin, l’énergie animale reste très utile (voire indispensable dans certains pays) pour les travaux dans les champs, par exemple pour faire les semis ou aérer les sols.
Pour finir, sur certaines terres dites “marginales”, trop pauvres pour être cultivées, seul l'élevage peut permettre de nourrir la population. Au Groenland, heureusement que les Inuits peuvent manger des phoques pour survivre. Au Sahel, heureusement qu’il y a du bétail en transhumance pour nourrir la population.
Conclusion : l’agriculture sans animaux et sans engrais chimiques est possible, mais elle est un peu plus galère. Fin de la parenthèse !
En tout cas, la philosophie antispéciste est très robuste : on a lu des dizaines et des dizaines d’articles, on a regardé des heures de débat télé avec Aymeric Caron et on a lu les 427 commentaires de “y a-t-il une manière morale de manger de la viande ?”, et tous les arguments qu’on a entendu habituellement contre l'antispécisme sont plutôt à ranger du côté des sophismes ou de la mauvaise foi.
Après avoir creusé ce sujet de l’antispécisme, on comprend que l’élevage n’est ni normal, ni naturel, ni nécessaire comme on l’entend souvent. Dès lors, si on veut justifier l’élevage, il n’y a qu’une seule question à se poser :
“Est-ce que le bien-être qu’on tire de l’élevage peut justifier la souffrance animale que ça peut générer ?”
Sachant que ce “bien-être” peut englober plusieurs dimensions. C’est d’abord bien sûr le plaisir gustatif quand on mange de la viande ou des produits laitiers ou le confort de porter des vêtements en cuir. Il y aussi l’attachement à un certain patrimoine culturel et gastronomique, la satisfaction de soutenir des petits éleveurs, le plaisir de voir des vaches gambader dans des prairies, l’insouciance de pouvoir manger sans trop penser à la composition de ses repas… Et il y aussi une forme de bien-être collectif. Même s’il est théoriquement possible d’avoir une agriculture sans animaux et sans engrais, en pratique, aujourd’hui, les petites exploitations agricoles vertueuses utilisent en immense majorité du fumier animal.
Quand on formule la question de l’élevage en ces termes, ça devient juste impossible de détourner le regard des conditions d’élevage comme on a trop souvent tendance à le faire. Qui pourrait dire que son plaisir ponctuel vaut PLUS que la souffrance d’un animal pendant toute une vie ? L’élevage industriel devient absolument intolérable : on ne peut plus détourner les yeux.
En fait, il n’y a que deux réponses possibles.
Première réponse : il faut abolir l’élevage, comme le demandent certains antispécistes. Tout le monde doit donc devenir “vegan” et cesser toute consommation de produits d’origine animale : le cuir, la laine, la viande, le lait, le fromage, les oeufs, le poisson. Les animaux ont le droit de vivre libres et mourir de leur belle mort, rien ne peut donc justifier de leur ôter ce droit juste pour notre plaisir personnel bref, rien ne peut justifier l'élevage.
Deuxième réponse : on peut faire de l’élevage mais à condition d’en retirer un maximum de souffrance animale. C’est la réponse dite “welfariste”5, celle de Peter Singer lui-même. Dans cas, il faut d’abord faire en sorte que les animaux puissent grandir sans souffrance dans des conditions adaptées à leur espèce : les animaux d’élevage sont des êtres sensibles dotés d’un système nerveux, donc ils veulent éviter de souffrir tout autant que nous. Deuxièmement, il faut les tuer de la façon la plus respectueuse possible. Contrairement aux abolitionnistes, les welfaristes estiment que les animaux d’élevage n’ont pas la même capacité à anticiper et à former des projets que les humains, donc qu’ils ne se rendent pas compte qu’ils vont être tués et ne souffrent donc pas de cette pensée tout au long de leur vie (pour les vaches, c’est ce que montre par exemple Temple Grandin, une des plus grandes spécialistes du comportement des bovins).
Mais est-ce que ce welfarisme est possible en pratique ?
Si on est sûrs que les conditions de vie des animaux sont très mauvaises dans les élevages intensifs, ce n’est pas pour autant que les “petites fermes” familiales d’élevage bovin sont dépourvues de souffrance animale.
En France, plus de 80% des fermes sont de petites et moyennes exploitations qui élèvent moins de 100 bêtes. Et c’est vrai que parmi elles, plein de petits éleveurs s’engagent au quotidien pour le respect du bien-être animal. Par exemple, leur bétail pâture dehors la plupart de l’année, ils mettent de la paille à l’intérieur des bâtiments pour plus de confort, ils font attention à la douleur pendant les écornages6, ils nourrissent les veaux sous la mère, ils brossent leurs animaux, leur parlent, etc. Bref, il y a plein d’éleveurs qui aiment leurs bêtes et en prennent le plus grand soin, même s’ils doivent un jour les envoyer à l’abattoir.
Mais ce n’est pas le cas dans toutes ces fermes. Il y en a encore beaucoup d’autres où on pratique un écornage douloureux, des castrations à vif… Et dans les élevages laitiers, on sépare très souvent le veau de sa mère, on pratique des inséminations artificielles à répétition, on abat les mâles... En plus, certains éleveurs sont parfois dans de telles difficultés économiques qu’il n’est pas évident pour eux de se concentrer sur le bien-être animal : difficile d’aller faire des câlins à ses vaches quand on ne peut pas boucler sa fin du mois (donc avant de les blâmer, il faudrait déjà réorienter les subventions de la PAC vers les plus petits élevages).
Et puis il y a les abattoirs. Pour des raisons d'hygiène et de santé publique, l'abattage des animaux à la ferme est interdit en France. Alors les éleveurs n'ont donc pas d'autre choix que d'envoyer leurs bêtes à l'abattoir. Problème : il y existe souvent des dérives, dont certaines ont été mises en lumière par les vidéos glaçantes de L214. Et puis dans ces lieux, la souffrance animale côtoie aussi souvent la souffrance humaine avec des conditions de travail indignes7 pour les travailleurs. Et c’est sans compter les temps de trajet longs et stressants pour les éleveurs comme les bêtes. La solution la plus plausible pour diminuer la souffrance animale et l’abattage industriel serait le développement d’abattoirs mobiles, se déplaçant sur les lieux d’élevage comme c'est déjà le cas en Allemagne ou en Suède. Depuis quelques mois, des premières expérimentations ont été autorisées en France. Mais on est encore très loin de leur généralisation.
Chez Loom, à long terme, nous voudrions bien sûr faire disparaître toute souffrance animale8. On ne voit pas toutes et tous les choses de la même façon : une partie de l’équipe pense qu’on devra un jour se passer d’élevage, d’autres aspirent à un élevage sans souffrance animale (schématiquement, laisser les vaches vivre avec leurs veaux, ne pas abattre systématiquement les mâles, imposer moins de gestations aux vaches quitte à avoir moins de lait, etc.).
Pour autant, si on veut améliorer le bien-être animal, nous ne pensons pas qu’il faille renoncer au cuir à court terme. Si on le boycotte, cela diminuerait la rentabilité des élevages existants et favoriserait les plus intensifs qui optimisent les coûts. Cela mettrait aussi un stress économique supplémentaire sur des petits éleveurs déjà précaires, qui ont déjà souvent du mal à diminuer leur fin de mois. Les actions en faveur du bien-être animal mais qui ne rapportent pas d’argent vont tendre à diminuer, et cela pourrait même accentuer le risque de maltraitance dans les fermes et les abattoirs. Albert Schweitzer disait : "Dans les abattoirs, ce n’est pas la méchanceté des hommes qui fait la souffrance animale, c’est la pression économique".
En revanche, nous devons à tout prix choisir un cuir issu des fermes les plus soigneuses avec leurs animaux, et les encourager à améliorer leurs pratiques, en acceptant de payer leur cuir plus cher par exemple. Sauf que voilà, il n’y a pas de traçabilité suffisante pour permettre ce genre de pratique.
A travers notre alimentation, il est possible de favoriser l’élevage paysan et de boycotter l’élevage industriel : on peut choisir de n’acheter que des produits en vente directe ou circuits courts issus de petites exploitations bio ou plein air, voire dans des restaurants, des boucheries ou des crèmeries qui ont des pratiques d'approvisionnement vertueuses et transparentes. Oui, ça coûte beaucoup plus cher, mais c’est le vrai prix de ces aliments et il faut de toute manière réduire notre consommation (en effet, il est impossible à un niveau national que tout le monde mange beaucoup de produits animaux : il n’y aurait jamais assez de petites fermes qui puissent produire autant).
Pour le cuir, c’est beaucoup plus difficile de “voter avec son porte-monnaie”. Contrairement au lait ou à la viande, il est quasi-impossible de savoir de quel type de ferme vient une peau. Aujourd’hui, dans les abattoirs, les peaux sont regroupées par lots plus ou moins homogènes selon leur qualité et leur poids, sans aucun type de marquage. Et les tanneries achètent ensuite les peaux à des abattoirs de différents pays. Donc même si une tannerie est basée en France, vous ne pouvez pas savoir avec certitude si le cuir que vous lui achetez provient d’une vache bio française ou d’une vache sacrée indienne, et vous pouvez encore moins savoir dans quel type de ferme cette vache a été élevée… Et la situation n’est pas prête de changer : il y a bien quelques expérimentations de traçabilité en cours poussées notamment par l’industrie du luxe (comme par exemple le marquage des peaux au laser) mais elles sont encore loin d’être mises en place.
A ce stade, le mieux que l’on puisse faire, c’est s’assurer que les peaux utilisées par la tannerie proviennent d’Europe, voire mieux, de France. Et aussi pousser la filière viande-cuir à mettre en place un système de traçabilité digne de ce nom.
Voilà nos réflexions en ce qui concerne l’éthique animale. Et du point de vue l’environnement, le cuir est-il vraiment le matériau le plus polluant ?
Quand on parle pollution du cuir, ce sont principalement les gaz à effet de serre de l’élevage bovin dont il est question. À raison : l’élevage émet 14,5% des gaz à effets de serre de la planète9, et les deux-tiers proviennent des bovins. C’est énorme et c’est surtout à cause de deux choses :
Mais si on y regarde de plus près, on se rend compte que toutes les vaches ne polluent pas pareil. En Europe, les émissions de gaz à effet de serre d’un kilo de boeuf sont 4 fois moins élevées qu’en Amérique du Sud ou qu’en Asie du Sud. Pour plein de raisons : les pâturages des zones tempérées sont plus faciles à digérer pour les vaches qui émettent donc moins de méthane, on ne déforeste plus depuis longtemps, la productivité des élevages est très bonne car les animaux sont en bonne santé, la plupart des aliments sont produits sur place ce qui évite les transports, etc.
Et encore, en Europe, ces émissions de gaz à effet de serre sont probablement surestimées : cette étude ne tient pas compte du fait que les prairies absorbent une partie des émissions de méthane des ruminants : 20 à 60% des émissions selon les dernières études.
La question est maintenant : est-ce que le cuir émet plus ou moins de gaz à effets de serre que ses alternatives ? Pour cela, regardons une étude de l’Ademe (l’Agence du gouvernement référente sur le sujet) qui a comparé les émissions des chaussures en cuir et celles des chaussures de sport et en tissu. Et là, surprise :
Les chaussures en cuir émettent moins de CO2 que les autres ! Bizarre, non ? Alors, certes, ça peut s’expliquer parce que tanner le cuir, ça demande moins d’énergie que de filer un fil, tisser et teindre une étoffe, un processus industriel qui demande d’utiliser des grosses machines qui consomment beaucoup d’électricité.
Mais en fait, on vient de mettre le doigt sur un sujet très sensible : quelle est la part de l’empreinte carbone de l’élevage qu’il faut allouer au cuir ? Dans cette étude, l’Ademe se base sur un référentiel qui attribue... 0% de l’impact de l’élevage au cuir. Ce qui peut se justifier par le raisonnement qu’on avait évoqué plus haut : ce qui détermine le volume d’élevage de vaches, c’est le lait et la viande, donc ça ne changera rien si on arrête de fabriquer de cuir. Mais on a déjà montré que ce raisonnement avait ses limites, alors regardons le référentiel européen (le Product Environmental Footprint) : il se base sur la valeur économique de la peau et attribue 3,5% de l’empreinte carbone de la carcasse au cuir, ce qui paraît plus proche de la réalité.
En se basant sur ce chiffre (et sur les émissions carbone des vaches en Europe d’où viendrait notre cuir), on a refait les calculs11 des émissions carbones des chaussures de l’Ademe (on vous les a mis sur ce lien), et voici ce que ça donne :
Ça change carrément la donne : l’empreinte carbone des chaussures en cuir est deux fois plus élevée que les autres.
Donc a priori, il faudrait y renoncer... Sauf que quand on veut analyser l’impact environnemental d’un produit, il faut regarder sa durée de vie. Or, le cuir, à condition qu’il soit bien entretenu, tient mieux dans la durée que la plupart des autres matières...
Donc faisons l’hypothèse qu’on a des chaussures en cuir de bonne confection et qu’on les fait durer deux fois plus longtemps que les autres. L’empreinte carbone serait alors à peu près équivalente entre les trois paires :
Bref, l’élevage mondial est un énorme problème pour le réchauffement climatique à cause de ses volumes, qui doivent être réduits d’urgence. Mais l’élevage européen est (un peu) moins problématique, et si on utilise son cuir pour fabriquer des produits qui durent vraiment longtemps, il peut même devenir plus écologique que ses alternatives.
Et pour le reste ?
On lit parfois “qu’il faut 15000 litres d’eau pour produire un kilo de viande”. Pour le cuir, on peut aussi lire “qu’il faut 17000 litres d’eau pour faire un kilo de cuir”. C’est vrai qu’élever un boeuf, ça consomme de l’eau (comme un humain en fait) : pour qu’il boive directement mais surtout pour arroser les cultures qui vont servir à le nourrir.
Mais 93% de cette eau n’est que de l’eau de pluie qui arrose les prairies (on parle d’eau verte) : elle serait de toute façon tombée sur la prairie, élevage ou pas. En France, si on prend en compte les prélèvements réels d’eau et leur impact sur le milieu, la production d’un kilo de viande nécessite seulement 315 litres d’eau (issue des nappes phréatiques ou des cours d’eau, on parle d’eau bleue).
Mais 315 litres, c’est beaucoup ou pas beaucoup ? En fait, cette consommation d’eau bleue ne peut être interprétée que si on la compare à celle nécessaire pour produire l’équivalent calorique en végétaux, et voici ce que ça donne selon cette source :
On voit alors que le boeuf consomme certes pas mal d’eau, mais “seulement” deux fois plus que le maïs ou le soja, et beaucoup moins que le riz (si vous avez déjà vu une rizière…). Ce n’est donc pas rien, mais c’est surtout un problème dans les régions où il y a un stress hydrique : c’est plus embêtant en Inde qu’en Norvège par exemple.
Donc encore une fois, le pays d’origine du cuir est déterminant. S’il vient d’un pays où le climat est tempéré et le stress hydrique est rare, comme en Europe centrale ou en Europe du Nord par exemple, l’eau n’est pas un problème.
Pour être complet sur les problèmes posés par l’élevage, il faudrait également penser aux problèmes de sécurité alimentaire (il occupe 60% des terres fertiles mondiales pour produire seulement 18% des calories), l'eutrophisation (les fameuses “marées vertes”) et l’augmentation de la résistance antibiotique… Ils fournissent une raison supplémentaire de s’éloigner de l’élevage industriel, qui en est le principal responsable. Mais sortons du sujet élevage pour regarder celui du tannage.
Transformer une peau d’animal en cuir, ça ne se fait pas tout seul : ça requiert un long processus appelé “tannage”. On peut tanner le cuir à l’ancienne, c’est-à-dire en utilisant des tanins végétaux (et dans ce cas on parle de tannage végétal). Mais comme ce procédé est plutôt long (et donc coûteux), la méthode la plus utilisée dans le secteur, c’est le tannage à base de sels de chrome.
Il y a un revers à la médaille : le tannage au chrome est certes plus rapide, mais, les résidus de chromes sont dangereux pour la santé. Heureusement, pour qu’un produit en cuir soit commercialisé en Europe, il doit contenir un taux de chrome suffisamment bas. Donc côté santé des consommateurs européens, on est à peu près tranquille (même si bon…).
Le problème est plutôt du côté de la production. S’il n’est pas traité, le chrome pollue l’environnement direct des tanneries et empoisonne les ouvriers et populations locales. Ce n’est pas un souci en Europe (grâce à la directive européenne n°2000/60/CE qui encadre ces pratiques), mais plutôt dans toutes les zones productrices de cuir sans réglementation protectrice (au Maroc, mais surtout au Bangladesh et en Inde).
Bref, le tannage du cuir n’est pas un problème environnemental s’il est réalisé dans une tannerie européenne, car la loi l'oblige a protèger la santé de ses salariés et à traiter ses eaux polluées. Par contre, c’est une catastrophe s’il provient d’une tannerie indienne qui relâche les résidus de chrome dans le Gange.
Pour conclure sur notre utilisation du cuir, on doit encore regarder un 3e sujet hyper important.
Entre un cuir animal et cuir synthétique, il y a une différence fondamentale : le type d’industries et d’emplois que ça sous-tend aujourd’hui. De la même manière qu’on a creusé le processus de production du cuir animal, on a étudié celui du cuir synthétique. Pour rappel, ce cuir regroupe deux grandes familles : les simili-cuirs (le cuir “plastique” comme par exemple le “skaï”) et les cuirs dits végétaux (à base de déchets de pomme, d’ananas ou de raisin par exemple).
Pour que ces matières soient résistantes et imperméables, elles suivent à peu près le même processus de fabrication :
1 - On fabrique une sous-couche de textile, à base de polyamide pour les simili-cuirs ou de déchets végétaux pour les cuirs dits végétaux.
2- On “enduit” ce textile d’une résine de polyuréthane pour lui apporter de l’imperméabilité et de la résistance.
Alors bien sûr, une base textile faite à partir de déchets végétaux, c’est génial : le meilleur recyclage imaginable, une sorte de compost nouvelle génération. Mais le problème, c’est que l'enduction de polyuréthane représente quand même une grosse partie de la matière : 50% pour le Végéa (cuir de raisin) ou l’Apple Skin (cuir de pomme), 42% pour le Pinatex (cuir d’ananas).
Or qui dit polyuréthane, dit pétrochimie, avec extraction pétrolière et raffineries. Certes, on pourrait essayer de “bio-sourcer” ce polyuréthane en utilisant non pas du pétrole mais de la biomasse végétale. Mais pour l’instant on y arrive que partiellement, notamment en raisons de problèmes de coûts et de qualité. D’autre part, biosourcé ou pas, pour obtenir du polyuréthane, il faut un processus industriel complexe, dans de grosses usines chimiques, pour transformer des matières premières.
En revanche, pour le cuir animal, pas besoin de hautes technologies ou de processus industriels très complexes, il suffit d’élever des vaches et de tanner les peaux, ce qu’on sait faire (plus ou moins bien) depuis des milliers d’années.
Bref, le cuir synthétique impose (pour l’instant) un monde high-tech quand le cuir animal peut permettre un monde low-tech. Un peu comme quand on compare la production d’une voiture Tesla à celle d'un vélo. Qu’est-ce que ça change ? Pas mal de choses en fait :
Bien sûr, on ne dit pas qu’il faut jeter toutes les hautes technologies par la fenêtre : on en utilise nous-même tous les jours, à commencer par nos ordinateurs. Simplement, on se dit que si on peut obtenir un niveau de confort acceptable sans les hautes technologies, mieux vaut y renoncer en raison de leurs conséquences négatives. De la même façon que chez Loom, on préfère aller au boulot à vélo qu’en voiture, aujourd’hui, on préfère le cuir animal au cuir synthétique.
Il y a aussi une vraie question sociale à court terme pour les éleveurs et les agriculteurs, en cas de transition vers du cuir synthétique. On a vu tout à l’heure que l’arrêt ou la diminution de la consommation de cuir risquent de faire disparaître les modèles de fermes paysannes au profit de l’agriculture intensive.
Et qu’est-ce qui se passerait demain si on faisait moins de l’élevage ? Aujourd’hui, l’agriculture sans animaux est certes théoriquement possible, mais elle reste encore expérimentale. Presque toutes les fermes qui refusent le modèle industriel utilisent aujourd’hui du fumier animal. Sans ce fumier, il faudrait se tourner plus largement vers les engrais chimiques (produit d’ailleurs par les mêmes grosses entreprises qui fournissent la matière première pour faire du cuir synthétique), ce qui n’est pas non plus souhaitable. Pour transitionner vers une agriculture paysanne sans animaux, il faut que de telles fermes existent, servent d’exemple, essaiment et deviennent la norme, et si cela doit arriver, cela va prendre beaucoup beaucoup de temps.
Voici un petit récap de ce qu’on s’est dit :
Pour le cuir comme pour la plupart des problèmes environnementaux actuels, le poison est dans la dose : il est nécessaire de produire moins et mieux. Pour nous, cela se traduit par 1) fabriquer des produits en cuir qui durent le plus longtemps possible 2) choisir un cuir élevé, tanné et assemblé en Europe.
Nous avons décidé pour nos baskets d'utiliser du cuir animal, avec les conditions suivantes :
On va suivre de près ce qui se passe du côté des cuirs synthétiques à base de végétaux et voir s’ils évoluent dans la bonne direction : vers plus de résistance et de confort, vers moins de plastique, vers des systèmes de production plus locaux, plus low-tech. Si on y arrive, génial : on tendrait alors vers un monde moins pollué et une société plus résiliente, sans souffrance animale ni humaine. Dans ce cas, nous renoncerons avec plaisir au cuir animal.
Mais comme on l’a vu, pour l’instant, on n’y est pas encore. Alors en attendant, nous nous efforcerons de surmonter les deux principales limites du cuir animal :
Et pour nos autres produits potentiellement en cuir, nous trancherons au cas par cas. Par exemple, il nous semble clair qu’un patch de jeans en cuir n’a qu’un intérêt uniquement esthétique et que nous devons y renoncer. Pour les ceintures et les portes-cartes, nous devrons peut-être mener des tests de résistances comparés avec d’autres matières naturelles pour nous décider.
Cette question du cuir est une des plus difficiles qu’on ait jamais eues à traiter, parce qu’elle demande de concilier quatre facteurs parfois contradictoires : notre bien-être, l’éthique animale, la pollution environnementale et la question sociale et sociétale. Pour répondre aux critiques dont on vous parlait au début de l'article, il nous aurait été beaucoup plus facile, soit de renoncer au cuir, soit de justifier son utilisation en disant que c’est juste un déchet de l’élevage que l’on valorise. Mais l’objectif de cet article n’est pas de convaincre les sceptiques de notre engagement éthique et environnemental (c’est à peu près sûr qu’on ne les fera pas changer d’avis) mais de comprendre le sujet en profondeur pour faire les choix qui aient le plus petit impact possible sur la planète et les humains. Bref, de construire notre avis et de vous donner tous les éléments pour que vous puissiez vous faire le vôtre.
Article écrit par Guillaume Declair
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Si vous voulez être quasi certain·e13 de ne causer aucune souffrance animale et que vous avez le courage de le faire, il n’y a qu’une solution : devenir vegan, et laisser tomber le cuir, la viande, les produits laitiers, le poisson et les oeufs. Sinon, voici ce que vous pouvez faire à votre échelle pour minimiser la souffrance animale et la pollution environnementale :
Concernant le cuir, vous avez aussi le pouvoir de changer les choses :
Pour aller plus loin, voici quelques ressources intéressantes qui nous aidé à écrire cet article :
Qui on est pour dire ça ?
Vous êtes sur La Mode à l’Envers, un blog tenu par la marque de vêtements Loom. L'industrie textile file un mauvais coton et c'est la planète qui paye les pots cassés. Alors tout ce qu’on comprend sur le secteur, on essaye de vous l’expliquer ici. Parce que fabriquer des vêtements durables, c’est bien, mais dévoiler, partager ou inspirer, c’est encore plus puissant.
Si vous aimez ce qu’on écrit et que vous en voulez encore, abonnez-vous à notre newsletter en cliquant ici. Promis : on écrit peu et on ne spamme jamais.
1 Le “cinquième quartier” (peau et abats) ne représente en moyenne que 8% du prix de vente de la carcasse des gros bovins selon une étude de Blézat Consulting sur la demande de FranceAgriMer.
2 En plus, la souffrance animale est peut-être encore plus présente pour les vaches qu'on élève pour leur lait (dit laitières) que celles qu'on élève pour la viande (dites allaitantes), notamment en raison des gestations multiples imposées aux vaches et de la séparation séparation mère-veau.
3 Et en plus les usages gastronomiques ont énormément évolué au cours du XXe siècle : avant l'invention de l'élevage intensif, les gens ne mangeaient pas de la viande tous les jours. C'était considéré comme un met de luxe accessible uniquement aux plus riches. Certes l'espérance de vie humaine n'était pas aussi bonne qu'aujourd'hui mais le vieillissement de la population s'explique plus par des mesures d'hygiène que par la systématisation des menus carnivores.
4 Si vous vous rappelez de vos cours d'histoires géo, on appelait ça les systèmes d'assolement biennal ou triennal.
5 Philosophiquement, le welfarisme est ce qu'on appelle un "utilitarisme des préférences", qui a pour objectif de maximiser la satisfaction des préférences des êtres vivants. Au contraire, l'abolitionnisme est un "utilitarisme hédoniste" qui se donne pour objectif de maximiser le bien-être des individus dans l'absolu.
6 Action consistant à couper complètement ou partiellement les cornes d'un animal : on le fait pour pas que les vaches se blessent entre elles et qu’elles ne blessent pas l’agriculteur·trice.
7 Cf. le livre glaçant « Steak Machine » du journaliste Geoffrey Le Guilcher qui raconte quarante jours de travail dans un abattoir.
8 Nous savons qu'il s'agit d'un idéal vers lequel il faut tendre, comme celui d'un monde sans aucune souffrance humaine ou pollution environnementale : il y a peu de chances qu'on y arrive mais ça ne veut pas dire qu'on doit renoncer à cet objectif.
9 On affirme parfois que c'est autant que le secteur des transports (14%) alors que ces deux chiffres sont obtenus par des méthodes différentes. Le calcul pour l’élevage émane de la FAO, sur le modèle des analyses de cycle de vie, qui inclut diverses dimensions de l’élevage. Alors que le calcul pour les transports, qui émane du GIEC (Climate Change 2014 Synthesis Report - IPCC), ne prend en compte que les émissions de GES des véhicules en circulation. Par la méthode d’analyse de cycle de vie, cette valeur serait beaucoup plus élevée.
10 Même si la durée de vie du méthane dans l'atmosphère = 12 ans et celle du CO2 = 100 ans.
11 En fait, l'Ademe a également fait une analyse de sensibilité en se basant sur le Product Environmental Footprint, mais leur résultat montre que cela n'a a quasiment aucun impact sur l'empreinte carbone de la chaussure en cuir : on ne comprend vraiment pas comment c'est possible ! Si quelqu'un de l'Ademe veut nous envoyer la méthodologie derrière, on est preneur...
12 D’ailleurs, ces deux sujets sont très liés l’un à l’autre : des conditions d’élevage sans souffrance animale ne pourront être généralisées que si la consommation globale diminue drastiquement. C’est à cette seule condition qu’on pourra faire disparaître un jour l’élevage industriel.
13 Même en tant vegan, il n'est pas impossible de causer de la souffrance animale, car rien ne garantit que pour telle ou telle production de légumes, on n'a pas utilisé d'animaux.
La crise du coronavirus impose des restrictions hallucinantes de nos libertés individuelles. Ces mesures sont totalement justifiées, mais elles auraient de quoi rendre un dictateur jaloux : obligation de rester chez soi, interdiction de circuler là où on le souhaite, interdiction des réunions entre amis, interdiction de se balader dans un parc, obligation de se laver les mains et de passer du temps avec ses enfants (lol).
Et pourtant, tous les Français (et les autres) acceptent cette situation presque sans broncher.
Face à la crise environnementale qui s’annonce, les recommandations des scientifiques sont aussi claires et unanimes : nous devons changer notre mode de vie de toute urgence. Pourtant, nous ne sommes pas prêts à faire ces efforts-là.
Entendons-nous, la crise du Coronavirus est d’une gravité extraordinaire : dans le monde, des dizaines de milliers de personnes souffrent et meurent, des millions de soignants travaillent dans des conditions très difficiles, des dizaines de millions de travailleurs risquent de perdre leur emploi. Mais l’échelle reste bien inférieure à celle des prochaines crises qui risquent d’arriver avec le changement climatique. Notre système agricole continue à fonctionner presque normalement, aucune ville n’a été submergée par les flots, aucune grande migration ou guerre n’a été déclenchée, et ce virus ne tuera jamais autant que la crise écologique : rien que la pollution de l’air fait presque 10 millions de morts par an dans le monde. Surtout, l’épidémie est temporaire, quand les perturbations du climat sont quasi éternelles. Comme le dit Juliette Nouel : “Le dérèglement climatique et l'effondrement de la biodiversité déjà en cours vont durer des siècles et donner lieu à une succession ininterrompue de crises telles que celle que nous vivons aujourd'hui.”
Alors, y a-t-il des leçons à tirer de la manière dont on fait face au Coronavirus pour affronter la crise écologique qui s’annonce ?
Oui. Car aujourd’hui, on se rend compte que face au danger, on a la capacité individuellement et collectivement de changer de mode de vie. Et en particulier, que l’on est capables de sortir de notre modèle de consommation.
Nous avons tous des besoins fondamentaux : boire, manger, avoir un toit, se soigner, se chauffer, s’habiller... Et pour la plupart des gens dans les pays dits développés, ces besoins sont largement satisfaits. Alors nous pouvons aussi combler des besoins plus “artificiels” : s’acheter des baskets, partir en vacances, commander un téléphone, etc. Ces besoins sont parfaitement légitimes et on a tous le droit de les assouvir de temps à autre.
Mais le problème, c’est que depuis quelques années, notre consommation s’oriente vers des besoins encore plus artificiels, voire superflus, créés par la technologie, la publicité et le marketing : des besoins de “confort marginal”. Comme par exemple acheter des baskets stylées en plus de celles qu’on a déjà, acheter le dernier iPhone alors que le sien marche toujours, se doter d’une “enceinte intelligente” pour dicter sa liste de courses, avoir des écouteurs sans fils, etc. Ce phénomène s’est encore accentué depuis qu’une partie de l’économie se dédie uniquement à nous faire céder à notre plus grosse faiblesse : la flemme. En juste un clic, on peut faire venir un chauffeur, commander un repas, demander un service de pressing, se faire masser, demander à quelqu’un de faire le ménage chez nous, se faire livrer une bouteille de whisky…
Pourquoi ce confort marginal est-il un problème ?
D’abord, parce qu’il ne nous apporte pas grand chose personnellement. Comme pour toute consommation, nous en retirons un plaisir de moins en moins élevé à mesure qu’on achète. Un peu comme pour une bière ou un soda bien frais : la première gorgée nous fait beaucoup de bien, mais plus on en boit, moins on l’apprécie.
Mais le problème principal, c’est que l’impact social et environnemental, lui, est à peu près proportionnel à notre consommation :
Exemples des problèmes que ça pose :
Et franchement, c’est normal qu’on soit tenté de profiter de tout ce confort marginal : les entreprises ne nous montrent que les bénéfices qu’on va en tirer et masquent les conséquences négatives. Elles nous proposent de recevoir nos colis en moins de 24h sans nous préciser que ce type de livraison pollue plus qu’une livraison normale ou qu’elle induit une pression supplémentaire sur les livreurs. Quand elles vantent le style de leurs collections, les marques de mode n’évoquent jamais les conditions de travail terribles des personnes qui ont fabriqué leurs vêtement. Les entreprises de la tech nous font croire que ce sont des robots qui font le sale boulot alors qu’elles fonctionnent aussi grâce à des millions de travailleurs précaires invisibles.
Heureusement (sic), la crise du Coronavirus nous montre que renoncer à ce confort marginal est totalement dans nos cordes.
Ce dont le confinement nous fait prendre conscience, c’est que toutes ces consommations qui nous semblaient absolument “nécessaires” il y a quelques semaines ne sont pas si indispensables que ça. On se rend compte qu’on survivra sans le nouvel iPhone et qu’une paire de sneakers supplémentaire ne changera pas grand chose à notre vie. Et elles nous semblent presque indécentes, ces marques qui veulent continuer à nous vendre des objets à coups de promotions, de livraison gratuite et de “x% du chiffre d’affaires reversé à telle ou telle association”, quand on se rend compte que des gens mettent leur santé en danger pour qu’on puisse profiter de ces “bonnes affaires”.
Et si on accepte toutes ces restrictions, c’est parce que tous les médias font de la pédagogie sur les risques d’épidémie et qu’on comprend pourquoi c’est important. De la même manière, nous devons nous éduquer au maximum sur les impacts sociaux ou environnementaux de chacun de nos achats, ne pas se faire aveugler par les messages des marques et garder notre esprit critique. C’est beaucoup plus facile psychologiquement d’arrêter de se faire livrer des repas quand on a vu l’envers du décor.
En fait, il faut garder en tête que chaque achat est forcément un compromis entre trois dimensions : notre confort personnel, l’impact sur les autres et l’impact sur la planète.
Bien sûr, aujourd’hui, on ne dirait pas non à un bon resto ou même à un mauvais concert. Mais pendant le confinement, on s’aperçoit de ce qui nous manque vraiment : voir nos proches, se balader ou être dans la nature. Alors si par le passé, on était assez privilégié financièrement pour se payer ce confort marginal (ce qui est loin d’être le cas pour tout le monde), cette quarantaine nous montre que nous pouvons y renoncer. Nous pouvons tendre vers un quotidien plus sobre qui ne nous rendra pas moins heureux :
Mais on ne va pas se mentir : à la longue, c’est difficile de changer de mode de vie tout seul si tous les autres continuent à vivre comme si de rien n’était. Pourquoi j’irais au boulot à vélo si je dois suffoquer dans les gaz d’échappement des voitures autour de moi ? Pourquoi je prendrais moins l’avion si je vois des gens revenir tout bronzés d’une semaine en Thaïlande ? En fait, si on est les seuls à faire les choses bien, on a un peu l’impression de perdre deux fois : non seulement c’est rageant de se priver de trucs dont les autres continuent à profiter, mais EN PLUS si les autres ne changent pas leur attitude, nos privations ne servent à rien.
N’est-ce pas injuste ? L’exemplarité du comportement est forcément épuisante sur le long terme.
Si le confinement est globalement bien accepté, c’est qu’il est imposé à la plupart d’entre nous. Bien sûr, certains vivent dans des conditions bien plus confortables que d’autres : c’est plus facile d’être confiné dans un 200 m2 ou dans sa résidence secondaire que si on habite une logement surpeuplé ou insalubre. Et bien sûr, beaucoup de personnes sont encore obligées d’aller bosser (personnel soignant, mais aussi celles et ceux qui tiennent les caisses des supermarchés, qui ramassent nos poubelles, livrent nos colis, etc.). Mais personne n’a le droit de voir ses amis, personne ne peut aller boire un café dehors, personne n’a le droit d’aller acheter des fringues ou d’aller chez le coiffeur.
Est-ce que vous seriez d’accord pour rester confiné aussi longtemps si vos voisins pouvaient sortir tous les soirs boire des verres avec leurs potes ?
En 2018, le gouvernement a essayé de réduire l’usage des voitures en augmentant la taxe carbone sur l’essence. Forcément, la mesure ne s’imposait pas de la même manière à tout le monde : cette taxe était une broutille dans le budget des plus riches mais très pénalisante pour beaucoup d’autres (sans compter qu’elle ne s’appliquait pas sur le kérosène des avions). C’était injuste, ça a donné les gilets jaunes.
Il n’y a aucune chance pour que les mesures de lutte contre la crise écologique soient acceptées si elles accentuent les inégalités sociales.
Il ne peut y avoir de transition écologique sans justice sociale.
On a donc besoin d’une législation contraignante, qui s'impose de la même manière à tous, pour nous sortir du modèle de consommation actuel. Si l’Etat est capable de demander à la population un “effort de guerre” collectif pour lutter contre le Coronavirus, il doit être capable d’imposer plus de sobriété à l’ensemble des citoyens pour lutter contre la crise climatique. Comme par exemple :
Ces efforts vous paraissent liberticides ? Vous avez l’impression qu’on vous décrit une “dictature verte” ? une “écologie punitive” ?
N’oublions pas que plein de restrictions jugées à une époque liberticides nous paraissent aujourd’hui aller de soi et ont permis de sauver un sacré paquet de vies : l’interdiction de fumer dans les lieux publics, l’obligation de mettre sa ceinture de sécurité... Et cette fois, on ne parle pas juste de sécurité personnelle, mais de notre survie de tous. Est-ce que notre liberté ne s’arrête pas là où commence la destruction de l’environnement ?
Bon, mais qu’est-ce qu’on peut faire individuellement pour que de telles mesures soient prises ? On ne vous apprend rien : vous pouvez d’abord voter. Mais si ça ne suffit pas (et on ne peut que constater que c’est le cas), il y a d’autres moyens de mettre la pression sur les gouvernements : aller manifester, s’engager dans des lobbys citoyens, rejoindre des associations locales qui luttent pour la préservation de la biodiversité ou pour l'entraide vis-à-vis des plus précaires. En fait, à chaque fois qu’on a accès à un petit bout du pouvoir, il faut en profiter pour essayer de faire pencher la balance du côté de l’écologie.
Mais bon, on sait bien que pour que les choses changent vraiment, les mobilisations citoyennes ne sont pas suffisantes : les entreprises, elles aussi, doivent bouger.
En juin 2019, la marque Tropicana a fait une étude sur les attentes des consommateurs, et apparemment ce que le client lambda veut, c’est des bouteilles transparentes. Et comme “le client est roi”, ni une, ni deux, ils sont passés de briques en carton à des bouteilles en plastique. Comme l’entreprise l’affirme elle-même sur un post Medium, même si elle a choisi du plastique partiellement recyclé, son seul objectif était de satisfaire le consommateur. Ce qui veut dire que le bilan carbone n’entrait pas en ligne de compte dans les critères de décision.
Ce dogme du “client roi”, du “customer first” ne peut plus continuer. Il ne peut pas y avoir 7 milliards de rois sur notre planète.
Si une entreprise veut réellement lutter contre la crise écologique, elle doit tenir compte des dimensions sociales et environnementales pour chacune de ses décisions, même si ce n’est pas ce que demande le client et même si elle n’en tire pas un bénéfice économique (on en a déjà longuement parlé si le sujet vous intéresse).
Et puis franchement, traiter quelqu’un comme un roi, ça en fait rarement quelqu’un de bien. Les personnes “en première ligne”2 (vendeurs, vendeuses, caissiers, caissières, personnes des services après-vente, des call-centers, des guichets, etc.) font souvent les frais de ces clients “rois” qui pensent que tout leur est dû. Et même pour les marques, ce n’est pas vraiment stratégique de traiter leurs clients “comme des rois”, en étant obséquieux, opaques, terrifiés par leur sentence, tout en essayant de leur vendre des trucs dont ils n’ont pas besoin. Au final, on préfère toujours ceux qui nous traitent avec franchise et bienveillance.
Bonne nouvelle : ce que nous montre la crise actuelle, c’est que les entreprises, elles aussi, sont capables de se mobiliser, de dépasser leurs simples objectifs financiers et d’arrêter juste de penser à leur “expérience client”. On observe des élans de solidarité qu’on n’avait jamais vu avant, à l’image d’une partie du secteur textile qui a réorienté sa production vers la fabrication de masques.
Cette crise du coronavirus est une catastrophe humaine, mais elle a le mérite de révéler des dysfonctionnements de notre société que nous ne pouvons plus ignorer.
Nous nous rendons collectivement compte (en vrac) de l’importance de donner des moyens à notre système de santé, qu’il est essentiel de revaloriser certains métiers (et pour notre part, à quel point les nôtres peuvent être superflus) ou que certaines inégalités sociales sont insupportables.
Mais nous réalisons aussi que, pour le bien commun, nous sommes capables de choses que nous pensions impossibles il y a à peine 10 jours, au niveau individuel, collectif et même au sein des entreprises. En nous montrant qu’on peut sortir de notre modèle de consommation actuel, ce Coronavirus est une occasion (et peut-être la dernière que nous ayons) de changer les choses.
Renoncer à notre confort marginal ne suffira pas à résoudre la crise écologique : il faut qu’il y ait des changements systémiques qui ne peuvent être opérés qu’à l’échelle de l’Etat : décarboner le système agricole, la production électrique, la construction des bâtiments, etc. Par contre, ce qui est certain c’est qu’on ne pourra affronter cette crise écologique sans renoncer à notre confort marginal. La bonne nouvelle : c’est beaucoup plus facile que de renoncer à nos libertés fondamentales.
Quelques lectures qui nous ont inspiré pour écrire cet article, à lire si vous souhaitez aller plus loin :
Et comment est-ce qu’on fait pour que vous renonciez au confort marginal chez Loom ? On considère bien sûr le client comme très important, mais pas comme un roi non plus. Par exemple :
1 L'exemple californien montre que c'est possible et que ça peut avoir un impact énorme sur la consommation d'électricité, tout en protégeant les plus démunis.
2 Et cette période met particulièrement en lumière pourquoi ce sont ces personnes qui devraient être traités avec le plus d’égard.
Qui on est pour dire ça ?
Vous êtes sur La Mode à l’Envers, un blog tenu par la marque de vêtements Loom. L'industrie textile file un mauvais coton et c'est la planète qui paye les pots cassés. Alors tout ce qu’on comprend sur le secteur, on essaye de vous l’expliquer ici. Parce que fabriquer des vêtements durables, c’est bien, mais dévoiler, partager ou inspirer, c’est encore plus puissant.
Si vous aimez ce qu’on écrit et que vous en voulez encore, abonnez-vous à notre newsletter en cliquant ici. Promis : on écrit peu et on ne spamme jamais.
C'est reparti : nous avons pris la décision de livrer à nouveau nos clients étant donné que notre entrepôt et la Poste ont repris un fonctionnement à peu près normal. Il est fort possible que les délais de livraison soit un peu allongés en raison des précautions sanitaires prises par notre entrepôt et la Poste. Notez aussi qu'il est pour l'instant impossible de se faire livrer en point relais : la plupart des commerces sont encore fermés et les bureaux de Poste n'assurent plus ce service. Nous ne livrons donc qu'en Colissimo à domicile (sans signature bien sûr).Pour les retours, nous les acceptons jusqu'à 90 jours après livraison pour vous laisser plus de temps. Plutôt que d'aller déposer vos colis retours à la Poste, nous vous encourageons si possible à les laisser dans votre boîte aux lettres pour que le facteur puisse le retirer (ce fonctionnement est expliqué sur les étiquettes retours qu'on vous enverra le cas échéant).En ce qui concerne les commandes passées depuis mi-mars et qui devaient être livrées "après confinement", elles seront expédiées dans les jours qui viennent.
C’est une drôle de période que nous traversons en ce moment et nous ne pouvons pas faire comme si tout allait bien. Au cas où vous vous posiez la question, voici ce qui se passe chez Loom, en toute transparence.
Oui, vous pouvez encore commander nos vêtements sur le site, mais on ne pourra vous livrer qu'après la fin du confinement. Notre entrepôt, basé à Troyes, a fortement ralenti ses activités pour protéger son personnel et de toute façon, Colissimo a arrêté de livrer plusieurs villes en Ile-de-France.
Tous les échanges et remboursements sont mis en pause jusqu’à nouvel ordre : notre entrepôt tourne au ralenti et ne peut plus recevoir de colis. Toutes les demandes seront traitées quand son activité reprendra.
Oui, tout le monde va bien : pour l’instant, ni nous, ni nos proches ne présentons de symptômes d’infection par le coronavirus. Depuis vendredi, nous sommes confinés chez nous et travaillons à distance et notre moral est plutôt ok.
Comme nous vendons très peu de vêtements et que nous devons continuer à payer certaines charges (comme les salaires), notre trésorerie (c’est-à-dire l’argent qu’on a sur notre compte en banque) va baisser aussi, ce qui met en danger la santé économique de notre entreprise. Du coup, on a essayé d’agir vite pour réduire au maximum nos coûts (cf. notre post Linkedin de vendredi 13 mars). Par exemple, on a réduit nos salaires, on a quitté notre incubateur Station F pour ne plus payer de loyer, et, après nous être assuré que cela ne les met pas dans des difficultés financières, on a annulé certaines de nos commandes à nos usines. Les mesures économiques en faveur des entreprises annoncées par le gouvernement vont certainement aussi bien nous aider. Dans ces conditions, à moins qu’il y ait un confinement total pendant un an, Loom survivra.
On se dit que ce n'est pas trop le moment de vous parler de nouveaux vêtements, on reporte donc les lancements qu'on avait prévu à plus tard. A la place, on va se concentrer sur les projets long terme. D’abord, nous allons travailler sur nos vêtements. Même si nos usines tournent au ralenti et que ce sera plus long de fabriquer des prototypes, on va continuer à améliorer la durabilité de nos vêtements et à en développer de nouveaux. En particulier, on va se concentrer sur le vestiaire femme. Ensuite, plus que jamais, nous allons écrire des articles. Cette crise du coronavirus matérialise certaines limites du modèle actuel de croissance infinie des entreprises que nous voudrions mettre en lumière. D'ailleurs, on vient déjà de terminer cet article-là. Enfin, on voudrait créer un “wiki” textile. Depuis bientôt deux ans, tout ce que nous apprenons sur comment faire un vêtement qui dure, on le note dans un document. Plusieurs marques nous ont demandé de partager ce document avec elles et ça nous semble une super idée. Nous nous sommes rendus compte que nous changeons parfois les comportements des consommateurs grâce à nos articles de blog, et que cela a peut-être plus d’impact que de fabriquer et vendre nos propres vêtements. Si on veut changer l’industrie textile, c’est bien plus efficace d’aider les autres marques à améliorer la durabilité de leurs vêtements que de garder ce savoir pour nous (même si c'est perdre un "avantage compétitif"). En fait, on pense que c'est typiquement le genre de savoir qui devrait être accessible à tout le monde et amélioré de manière collaborative par toutes les marques.
On est juste une marque de vêtements. On se rend bien compte en ce moment que fabriquer des t-shirts ou des pantalons, ce n’est pas de première nécessité. Mais s’il y a quelque chose qu’on peut faire pour vous, des sujets que vous voulez qu’on aborde, des informations que vous voudriez avoir, des nouvelles de comment grandit ce petit chat, dites-le nous. Ou si au contraire, vous pensez que c’est bien qu’on se taise un peu pendant un moment, dites-le nous aussi. On vous souhaite bonne chance.
Prenez soin de vous.
Cécile, Claire, Clément, Guillaume et Julia
Il n’y a pas un jour qui passe sans que quelqu’un de notre entourage nous demande notre avis sur telle ou telle marque.
On nous le demande sur les vêtements mais aussi sur la nourriture, la banque, les cosmétiques et même les vélos. Et ça se comprend : en ce moment, on dirait que toutes les marques du monde sont engagées pour la protection de l’environnement, des plus petites aux plus énormes.
Si toutes les entreprises s’engagent pour l’écologie, on pourrait se dire que ça va dans le bon sens, qu’on va réussir à limiter le réchauffement de la planète et la crise écologique et que oui enfin, le monde va aller de mieux en mieux.
Mais alors attendez : pourquoi le climat continue de se réchauffer ? Les océans d’être pollués ? la biodiversité continue de s’effondrer ? Si toutes les entreprises font les choses bien, pourquoi tous les experts disent qu’on continue à aller droit dans le mur ? Est-ce que ces entreprises mentent ?
Dans l’immense majorité des cas, elles disent la vérité. La plupart du temps, les marques ne font pas de greenwashing à proprement parler. Oui, H&M est bien le premier acheteur de coton bio. Oui, Airfrance plante des arbres pour compenser tous les trajets nationaux.
Le problème, c’est le type d’engagements que ces marques prennent.
En fait, la plupart des efforts écologiques des marques portent sur 2 choses :
Et franchement, l’éco-conception et la compensation, c’est indispensable. Mais c’est loin d’être suffisant.
D’abord, parce que l’écoconception ne permet pas toujours de diminuer la consommation de ressources. Entre autres à cause de l’effet rebond. Le meilleur exemple, c’est l’automobile. Certes les moteurs de voiture consomment de moins en moins d’énergie, mais comme les gens roulent plus et achètent des voitures de plus en plus lourdes, au global, les émissions totales des voitures augmentent d’année en année. Autre exemple : si un t-shirt est bio, on est tenté de penser qu’on peut en acheter autant qu’on veut sans que ça pollue (spoiler : c’est faux).
Quant à la compensation, c’est loin d’être une solution magique, pour plein de raisons. S’il ne fallait en retenir qu’une, c’est qu’elle n’est pas viable à grande échelle. Par exemple, si on voulait compenser l’intégralité de nos émissions de CO2 en plantant des arbres, il faudrait boiser quasiment l’intégralité des terres cultivées aujourd’hui dans le monde (ce qui veut dire qu’on aurait vachement faim au bout d’un moment).
On pourrait se dire que mises bout à bout, toutes ces actions peuvent finir par payer. C’est ce qu’on appelle la “croissance verte” : on ne change pas de modèle et on espère que la technologie va nous sauver. C’est vrai que grâce aux énergies renouvelables, les émissions de CO2 liées à l’énergie ont enfin stagné en 2019. Mais le chemin est encore très long et incertain. Rien qu’en France, pour ne pas dépasser les 2 degrés de réchauffement, il faudrait diviser nos émissions de CO2 par 5 d’ici 2050.
C’est vrai qu’il y a une petite probabilité qu’on résolve la crise climatique sans changer notre mode de vie. Toute la question est : est-ce qu’on veut prendre le risque ? Imaginez que vous arriviez avec toute votre famille devant un avion tout bringuebalant et le pilote vous dit qu'il a 30% de chances qu’il arrive entier à destination. Est-ce que vous monteriez dedans ? Même avec 50% ou 80% de chances que vous arriviez sain et sauf, personne ne monte dedans avec sa famille.
La seule manière d’affronter le changement climatique, c’est de produire et consommer moins. Quoi qu’on nous raconte, quelles que soient les solutions technologiques qu’on agite devant nos yeux, il a une équation qu’on ne pourra jamais changer : produire, c’est polluer. Comme vient de le rappeler une tribune de 1000 scientifiques dans Le Monde, “Notre mode de vie actuel et la croissance économique ne sont pas compatibles avec la limitation du dérèglement climatique à des niveaux acceptables. Continuer à promouvoir des technologies superflues et énergivores [...] est irresponsable à l’heure où nos modes de vie doivent évoluer vers plus de frugalité.” Bref, parler d’écoconception ou de compensation sans s’attaquer au sujet de la surproduction, c’est comme mettre un pansement (avec des petits dessins dessus) sur une jambe amputée. C’est mieux que rien mais ça ne va pas résoudre le problème.
Pour lutter contre cette surproduction et cette sur-consommation, voici ce que les marques peuvent faire :
Toutes ces marques, qui s’intéressent à l’écologie, qui ont créé tant de postes de “responsable RSE”, qui investissent autant sur le sujet, doivent forcément en arriver aux mêmes conclusions.
Alors pourquoi ne s’attaquent-elles pas au problème de la surproduction et de la surconsommation ?
C’est vrai que dans certains cas particuliers, l’engagement écologique véritable d’une marque peut être un avantage compétitif. Si ce n’était pas le cas, des marques comme la nôtre, 1083 ou Les Récupérables n’auraient sans doute jamais pu voir le jour.
Mais dans la plupart des cas, c’est faux : s’attaquer au problème de la surconsommation et de la surproduction, ce n’est pas bon pour le business.
Fabriquer des produits plus durables (i.e. qui durent plus longtemps, plus sobres ou plus durables), cela veut dire en vendre moins. Arrêter d’inciter à la consommation en diminuant les promotions ou les publicités aguicheuses, ça fait forcément diminuer les ventes.
Et surtout, la compensation et l’écoconception sont les actions les plus visibles pour les consommateurs. Les marques peuvent facilement les transformer en arguments marketing pour vendre plus : rien de tel qu’un beau packaging éco-responsable pour endormir l’éco-anxiété des clients. Ce sont aussi des arguments pour attirer les jeunes talents : la prise de conscience des jeunes salariés est un véritable casse-tête pour les entreprises polluantes qui ont de plus en plus de mal à recruter.
Du coup, les entreprises ont tendance à laisser tomber les actions non visibles, alors que ce sont précisément les actions indispensables pour diminuer l’empreinte environnementale d’une entreprise. En fait, c’est celui qui fait le moins d’efforts environnementaux qui gagne le plus d’argent. C’est ce que l’économiste Gaël Giraud appelle la prime au vice.
Donc oui, faire des vrais efforts écologiques, c’est moins bon pour le business. Mais les Coca-Cola, Danone et autres grosses entreprises ne sont pas vraiment au bord de la faillite. S’il y en a bien qui peuvent se permettre de diminuer un peu leur rentabilité sans mettre la clef sous la porte, ce sont elles. Et après tout, elles sont composées d’êtres humains, qui sont tout aussi inquiets que nous sur la question climatique. Alors pourquoi n’acceptent-elles jamais de faire un peu moins de croissance ou moins de rentabilité au nom de notre survie à tous ?
Si vous avez un peu suivi nos précédentes aventures, vous ne serez pas surpris de notre première hypothèse : le problème, c’est la finance.
C’est vrai qu’aujourd’hui, près des trois quarts des actions des entreprises françaises appartiennent à des sociétés financières (fonds de gestion d’actifs, fonds indiciels, fonds de private equity…). Et même si ces entités financières ne possèdent pas les entreprises à 100%, elles peuvent imposer leur vision aux dirigeants via leurs droits de votes dans les conseils d’administration, et elles incitent aussi les dirigeants à faire toujours plus de croissance via des mécanismes de “stock-options”.
Et c’est vrai que ces entités financières recherchent avant tout un rendement financier. Elles peuvent prétendre le contraire, mais au mieux, elles pousseront les entreprises à faire uniquement des efforts écologiques qui peuvent favoriser leur croissance : écoconception ou compensation. Quel fonds d’investissement acceptera qu’une entreprise lutte contre la surproduction si ça a un impact négatif sur ses performances économiques ?
Les seules entreprises qui ont la possibilité d’accepter de diminuer leur bénéfice au nom de la protection de l’environnement ou de la justice sociale, ce sont celles qui sont dirigées par des êtres humains, pas celles qui sont sous la pression d’une entité financière froide. D’ailleurs, les entreprises reconnues comme les plus engagées écologiquement sont très souvent des entreprises indépendantes, familiales ou en coopérative : Enercoop dans l’énergie, Fairphone dans la téléphonie, La Nef ou le Crédit Coopératif pour les banques, la Camif pour le mobilier, Biocoop pour les supermarchés, la MAIF pour les assurances, etc.
Même avec les meilleures intentions du monde, une entreprise financiarisée aura beaucoup de mal à prendre les actions écologiques indispensables.
Oui mais voilà.
Si on regarde notre secteur (les marques de prêt-à-porter), très peu d’entreprises sont financiarisées.
Bien sûr, il y a quelques exemples de marques françaises qui se sont transformées sous la pression financière : Vivarte (Caroll, Kookaï, La Halle aux vêtements…) racheté successivement par trois fonds depuis les années 2000, qui a dû fermer plein de magasins et supprimer 7000 postes depuis. Ou Dim rachetée successivement par deux fonds qui a délocalisé une partie de la production. Et puis il y a les nombreuses marques de mode rachetées par le fonds Experienced Capital qui ne se cache pas de pousser les marques à la croissance, notamment en ouvrant des dizaines de boutiques en un temps record...
Mais l’immense majorité des entreprises de mode est encore constituée de groupes familiaux, y compris les géants de la fast fashion.
Alors bien sûr, certaines de ces marques sont partiellement cotées en bourse ou ont fait rentrer des fonds d’investissement dans leur capital. Et c’est clair qu’elles en subissent aussi la pression – ou qu’elles se la mettent elles-mêmes puisque leur fortune personnelle est directement corrélée au cours de l’action.
Mais quand même, ces familles contrôlent encore leurs entreprises. L’industrie de la mode aurait donc dû être un secteur économique exemplaire. Ces familles transmettront peut-être leur entreprise à leurs enfants : elles devraient donc faire preuve d’une vision très long terme, sans pression pour grossir toujours plus et toujours plus vite. Et puis elles jouent leur nom et leur réputation : elles devraient donc être vigilantes sur la qualité de leurs produits, sur les conditions de travail de celles et ceux qui les fabriquent et sur leur impact environnemental.
Pourtant, elles se sont presque toutes, à des degrés plus ou moins forts, calquées sur le modèle destructeur de la fast fashion : délocalisation, renouvellement ultra-rapide des collections, dégradation de la qualité, ouverture de nouveaux points de ventes à marche forcée.
Comment se fait-il que ces familles se soient laissées emporter par cette course à la croissance ?
Reprenons la liste des familles citées plus haut et jetons un coup d’oeil à leur compte en banque :
Bref, on peut raisonnablement dire qu’un euro supplémentaire sur leur compte en banque ne changera pas grand chose à leur train de vie.
Et ces personnes en sont parfaitement conscientes. Amancio Ortega, 1e fortune d’Espagne et fondateur de Zara, confie lui-même : “Je veux juste une vie normale et pouvoir boire un café sur une place tranquillement avec ma femme sans que personne ne fasse attention à nous.” Il concède que gagner plus d’argent ne le rendra pas plus heureux.
Et pourtant, c’est le même homme qui s’est lancé à la conquête du monde entier pour recouvrir la planète de ses magasins Zara, imposant son modèle de fast fashion au reste de l’industrie.
Alors, que se passe-t-il dans sa tête ?
En fait, c’est lui-même qui nous donne la réponse :
“
Même quand je n’avais rien, je rêvais de croissance. Sans croissance, l’entreprise meurt. A 72 ans, je pense toujours la même chose : il ne faut pas s'arrêter de grossir."
Pour lui, la taille optimale d’une entreprise est forcément sa taille maximale. Tant pis si les employés croulent sous le travail. Tant pis si cette croissance se fait au prix de la qualité des vêtements. Tant pis si cela uniformise les centre-villes avec des magasins clones partout. Tant pis si cela participe au réchauffement climatique.
Cette croyance, en plus d’être dangereuse, est largement fausse. D’abord, on oublie souvent les déséconomies d’échelle des grosses entreprises (difficultés de communication, process de plus en plus lourds, politique interne, inertie…) qui les pénalisent face aux plus petites entreprises. Mais surtout, dans le monde, il y a plein de contre-exemples d’entreprises parfaitement viables sans croissance, qui cherchent non pas à faire “plus”, mais à faire “mieux”. Elles se concentrent sur l’innovation, l’amélioration de leurs produits et de leurs services, le bien-être de leurs salariés ou de leurs communautés, sans pour autant vouloir augmenter leur chiffre d’affaires à tout prix. D’abord, il y a des millions d’artisans ou de commerces de proximité, comme votre boulanger du coin, qui vend probablement la même quantité de baguettes et de croissants depuis des années tout en étant parfaitement viable économiquement. Il y a aussi ces petites et moyennes entreprises centenaires ou bicentenaires qui existent encore sans avoir grandi jusqu’à plus soif. Il y a aussi ces entreprises tech qui ont fait le choix de ne pas mettre la croissance comme objectif comme Basecamp, Buffer ou Wistia. Il y a même toutes ces entreprises à succès qui ont fait le choix délibéré de la non-croissance pour protéger l’environnement ou le bien-être de leurs salariés.
Cette croissance à marche forcée des marques de vêtements n’est donc pas uniquement imposée par le système financier. Elle est surtout issue d’une croyance largement partagée aujourd’hui : celle qu’il faut grossir à tout prix. “Grossir ou mourir”. “The bigger the better”.
Alors pourquoi un homme dont la vraie passion c’est de glander en terrasse en buvant la boisson la moins chère de la carte se dit que plus une entreprise est grande, plus elle réussit ?
Soyons honnête : c’est ce que pensent la plupart des gens.
Parce que nous vivons dans un monde où on associe toujours croissance et réussite et où la grosse entreprise est glorifiée. Résultat : ceux qui les ont montées et ceux qui les dirigent sont érigés comme modèles au reste de la société.
Les médias célèbrent les levées de fonds records et les introductions en Bourse fracassantes. On peut lire ici et là que le Graal pour une entreprise c’est de devenir une licorne, c’est-à-dire de valoir un milliard d’euros.
Les biographies d’entrepreneurs qui se vendent le plus sont les ouvrages à la gloire de ceux qui ont construit des empires comme Nike ou Apple, et ces livres ne s’attardent pas sur les conséquences catastrophiques de leur “succès”. Et dans les écoles de commerces, on étudie les cas de ces grosses boîtes et les recettes de leur “réussite”.
Bref, comme vous et nous, Amancio Ortega est soumis au quotidien à des représentations qui associent réussite et croissance. Pas étonnant qu’il se dise que sa boîte doit toujours grossir.
Alors pour faire en sorte que les entreprises révisent leur ambitions, et qu’Amancio boive enfin son café tranquilou sans arrière pensée de conquérir (encore plus) le monde, il faut changer notre représentation de la réussite.
Bonne nouvelle Amancio : ces représentations sont (un petit peu) en train de changer.
Mais pour que notre définition du succès change complètement, ça va prendre du temps…
Qu’est-ce qu’on fait en attendant ?
Chez Loom, on vous l’avait déjà expliqué, on a décidé de ne faire appel à aucun fonds d’investissement qui pourrait trop nous pousser à la croissance. Mais comme on l’a vu, ça ne suffit pas. Même avec les meilleures intentions, tout le monde peut être gagné par l’ivresse de la croissance.
Alors voici ce qu’on essaie de mettre en place :
1/ une culture d’entreprise de “non-croissance”. On ne refuse pas la croissance, mais on n'en fait pas un objectif. Elle doit être une résultante de fondamentaux solides : satisfaction de nos clients, relations saines avec nos fournisseurs, qualité de nos produits, motivation des personnes qui travaillent chez nous. Par exemple, lancer Loom à l’étranger ne nous intéresse pas. Développer notre réseau de boutiques sur tout le territoire non plus.
2/ des garde-fous. On a bien réfléchi, et on pense qu’on sera toujours moins tenté de faire de la croissance à tout prix si on a rien à y gagner. Donc la chose qui nous semble la plus efficace, c’est de plafonner nos salaires, pour que personne ne gagne jamais plus de 5 fois le SMIC. A quoi bon faire un milliard de chiffre d’affaires si ça ne change rien au chiffre en bas de notre feuille de paie ?
On n’est pas en train de dire que toutes les entreprises doivent faire exactement la même chose que nous. Mais en tout cas, beaucoup d’entre elles doivent changer de philosophie. Bien entendu, elles doivent être rentables et payer dignement leurs salariés, leurs prestataires ou leurs impôts. Mais une fois cette rentabilité atteinte, il faut que les personnes qui dirigent les entreprises arrêtent de parler d’objectifs de croissance mais cherchent d’abord à faire mieux les choses.
Il faut arrêter de se réjouir des chiffres de croissance mais plutôt d’un client qui dit merci, d’un salarié heureux de rentrer chez lui un peu plus tôt ou d’un fournisseur soulagé qu’on lui accorde un plus long délai de production. Il faut renoncer à faire plus, et avoir juste envie de faire mieux. Il faut choisir entre conquérir le monde et améliorer ce qui est en notre pouvoir. Il est temps que la réussite ne soit plus celle de l’argent mais de l’impact positif. Et que les entreprises oeuvrent pour le bien collectif et non pour l’enrichissement de quelques-uns.
Et ce qui est génial, c’est qu’on est loin d’être les seuls à penser comme ça. Comme on vous le disait plus haut, partout en France et dans le monde, il y a des milliers d’entreprises qui sont utiles à la société, rentables et qui ne cherchent pas la croissance à tout prix. C’est leur modèle qui mérite d’être sous les projecteurs.
Aujourd’hui, elles sont encore l’exception.
Demain, elles doivent devenir la règle.
Qui on est pour dire ça ?
Vous êtes sur La Mode à l’Envers, un blog tenu par la marque de vêtements Loom. L'industrie textile file un mauvais coton et c'est la planète qui paye les pots cassés. Alors tout ce qu’on comprend sur le secteur, on essaye de vous l’expliquer ici. Parce que fabriquer des vêtements durables, c’est bien, mais dévoiler, partager ou inspirer, c’est encore plus puissant.
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P.S. : D’ailleurs, si vous connaissez des entreprises qui ont ce type de philosophie ou d’engagements, dites-le nous ici, on aimerait bien les recenser et trouver un moyen de les mettre en avant.
P.S.2. : Cette vision des choses, on a eu la chance d'en parler lors du TEDx Université de Tours il y a quelques semaines. On vous laisse regarder la vidéo et y réagir en commentaire.
Jusqu’au début des années 90, après un long trajet en voiture, votre pare-brise ressemblait à ça :
Aujourd’hui, vous pouvez faire le même trajet : il n’y aura probablement plus un seul insecte dessus.
Avantage : votre pare-brise est propre.
Inconvénient : on va tous mourir.
Cela fait une dizaine d’années que le bio a fait sa place dans nos assiettes. Il faut dire que, quand on parle nourriture, l’agriculture biologique a un argument de poids : elle n’augmente pas les risques de cancer.
Mais quand on parle chiffon, que le coton de votre t-shirt soit bio ou arrosé par Monsanto, cela ne change rien pour votre santé : les substances toxiques qu’on trouve dans les vêtements viennent des teintures et autres traitements industriels, mais pas de la culture du coton1.
Ça explique sans doute pourquoi le coton bio n’a pas connu le même essor que la nourriture bio : il ne représente que 0,95% de la production mondiale (vs. plus de 6% pour l’alimentaire). L’immense majorité de la culture du coton est donc issue de l’agriculture dite “conventionnelle”. Entendez : celle qui utilise les engrais chimiques, l’irrigation et la monoculture jusqu’à plus soif. Et aussi les pesticides.
Le truc, c’est que le coton est une plante essentiellement “autogame”, c’est-à-dire qu’elle n’a besoin de personne pour se reproduire, même pas des abeilles. Donc on peut tuer tous les insectes qui l’entourent sans avoir trop d’impact sur ses rendements. Résultat : le coton n’utilise que 2-3% des surfaces agricoles, mais consomme 10% de tous les insecticides du monde.
En y regardant de plus près, on découvre que la culture du coton utilise de plus en plus de néonicotinoïdes, parce que, selon le comité des pays producteurs et consommateurs de coton, ce sont des pesticides “relativement plus sûrs”.
Mais… est-ce qu’ils sont si inoffensifs que ça ?
Si vous avez plus de 30 ans, vous savez que non. Parce que vous connaissez le “syndrome du pare-brise” dont on vous parlait en introduction. Et si vous ne prenez pas la voiture, voici quelques chiffres. En Allemagne, sur seulement 27 ans, 75% des insectes volants ont disparu. Aux Etats-Unis, deux tiers des populations d’insectes étudiées ont perdu 45% de leur volume. Et comme le démontre la vaste enquête d’un journaliste du Monde, les néonicotinoïdes sont la principale raison de cette disparition. Le phénomène est tellement massif que les scientifiques l’appellent “Insect Apocalypse” : ces deux études suggèrent qu’en seulement 30 ans, presque la moitié des insectes de la planète ont disparu.
Mais après tout, on s’en fout des insectes non ? C’est pas comme s’ils servaient à quelque chose (à part nous piquer pile sur la paupière les soirs d’été)...
En fait, les insectes sont super importants pour notre survie.
Si les abeilles meurent par exemple, les plantes à fleurs ne seront plus pollinisées : bye bye les fruits et les légumes et plus généralement, environ un tiers du contenu de nos assiettes.
Et puis si on fait sauter le premier maillon de la chaîne alimentaire, c’est la survie de toutes les autres espèces qui est remise en cause2.
Les deux autres familles d’insecticides utilisées dans le coton ? Elles ne valent guère mieux :
Vous l’avez compris : l’agriculture conventionnelle est loin d’être vertueuse et le coton y est pour beaucoup.
En trente ans, les industriels de l’agrochimie ont réussi à répandre l’utilisation de produits tous plus toxiques les uns que les autres. Comment c’est possible ? Parce que le système agro-industriel dans sa globalité ne possède pas de vrais garde-fous. Sous l'action des efforts de lobbying des industriels, le principe de précaution est totalement oublié3. La France vient juste d’interdire les néonicotinoïdes (c’est le premier pays à le faire), mais cela ne résout pas le problème :
Alors c’est quoi la solution ?
Du coton OGM qui résiste aux chenilles ? Monsanto a essayé avec le coton Bt, qui sécrète lui-même l’insecticide. Au début, ça a marché : les quantités de pesticides ont pas mal diminué là où il a été introduit. Sauf que la nature s’adapte : les chenilles sont devenues résistantes. Une étude menée en Chine a révélé qu’au bout de sept ans, les fermiers en étaient revenus au même niveau de pesticides qu’avant l’introduction de coton Bt.
La seule chose raisonnable à faire, c’est de passer à l’agriculture biologique (comment ça, vous aviez deviné ?).
La culture de coton bio utilise beaucoup moins d’insecticides que la culture “conventionnelle”. Pour se débarrasser des nuisibles, elle maintient un équilibre entre les insectes et leurs prédateurs naturels grâce à un sol riche et vivant, plante des culture-pièges4 en périphérie des champs à protéger…
Et il y a plein d’autres bénéfices à la culture bio :
Il y a des marques qui utilisent du coton bio depuis leurs débuts (Ekyog, Hopaal, 1083, Patine, Armed Angels, People Tree, Patagonia, Organic Basics, Knowledge Cotton Apparel...) et on leur tire notre chapeau. Mais la grande majorité des vêtements (y compris une partie des nôtres) continuent à être fait à partir de coton conventionnel. Pourquoi ?
Oui, le bio est plus cher que le non bio. Cultiver en respectant la terre, c’est plus difficile que d’arroser un champ de pesticides. Sans compter qu’il y a une période très compliquée pour les agriculteurs, lors de la transition d’un système à l’autre : cela peut prendre plusieurs années pendant lesquelles on ne peut pas vendre sous le label bio.
Mais dans le prix total d’un vêtement, franchement, ça ne change pas grand chose. Dans une chemise 100% coton, le coût du coton est d’environ 1,5€. Alors même si vous achetez votre coton bio deux fois plus cher, ça vous coûtera 1,5€ de plus. Pour vous donner une idée, pour une de nos chemises qu’on a passé en coton bio, notre coût de production est passé de 22 à 24€.
C’est carrément acceptable, non ? Ce qui peut freiner aujourd’hui les marques de fast fashion dans l’adoption du coton bio, c’est que leur main d’oeuvre est tellement bon marché qu’une augmentation du prix du coton génère, en pourcentage, une grosse augmentation du coût de production.
Le fait qu’un coton soit bio ou non n’a aucun impact sur sa qualité : cette dernière dépend essentiellement des semences ou des conditions climatiques.
Mais il est vrai que ça fait plus d’un an qu’on cherche et qu’on a trouvé ça très difficile de trouver des fils bio ET résistants… La raison est simple : la demande est tellement faible que le coton bio de qualité (dit “longue fibre” et “extra longue fibre”) représente moins de 0,01% de la production mondiale.
Mais les producteurs de coton bio de qualité existent. Et plus il y aura de marques qui se tourneront vers le coton bio, plus l’offre se développera, dont celle du coton bio de qualité.
Il y a peut-être des polémiques qui traversent l’agriculture bio alimentaire, en particulier concernant l’utilisation de la bouillie bordelaise ou encore le fait que de toute façon, les champs traités contaminent les champs bio. Mais dans le domaine du textile, il y a deux labels qui garantissent que le coton est bio et qui, à notre connaissance, n’ont jamais été remis en cause (contrairement aux “Better Coton Initiative” et autres étiquettes vertes) :
La vraie raison pour laquelle les marques ne passent pas au bio, c’est que très peu de gens ont conscience de la gravité des problèmes générés par le coton conventionnel.
Pourquoi on ne le sait pas ? Parce que les fabricants de pesticides (Bayer, Syngenta, BASF…) créent un nuage de fumée6 en voulant nous faire croire que la disparition des insectes n’est pas due aux insecticides, mais à une multitude d’autres causes : changement climatique, présence de parasites, urbanisation, éclairage nocturne... Tout ça à coup de lobbying et de financement d’études scientifiques pour semer le doute (celle-ci par exemple, financée par Bayer et Syngenta, tente de démontrer que les néonicotinoïdes dans le coton sont parfaitement inoffensifs). Aucune bien sûr ne peut expliquer le déclin abrupt des populations d’insectes au milieu des années 90, au moment de l’introduction des neonics, mais qu’importe.
Bref, comme l’explique Stéphane Foucart dans son livre Et le monde devint silencieux :
“L’industrie agrochimique a réussi un tour de force admirable : nous faire perdre de vue que les insecticides font très exactement ce pour quoi ils ont été conçus, c’est-à-dire détruire les insectes.”
On vous le dit franchement : il n’y a même pas deux ans, on n’avait aucune intention de passer au coton bio. On pensait que c’était payer plus cher pour pas grand chose. On se disait naïvement qu’il y a quand même des lois qui nous protègent et que les industriels ne peuvent pas faire n’importe quoi. On pensait que le réchauffement climatique était un problème si grave qu’il primait sur tous les autres. En creusant le sujet, on a compris qu’on s’était trompé.
Cela fait presque un an qu’on cherche à passer toute notre gamme en matière bio . Certains produits sur notre site le sont déjà, comme la plupart de nos chemises ou nos pulls. Pour les autres, c’est en cours, mais comme on vous le disait plus haut, c’est un peu coton pas facile de trouver les bonnes matières. Deux ou trois fois, on a cru tenir le bon bout, et on est reparti à zéro après avoir fait des tests de résistance sur les produits finis. Mais d’ici la fin de l’année 2020, on devrait réussir à passer toute notre gamme en bio.
En fait, on ne devrait pas dire qu'on passe au bio mais qu'on revient au bio. Pour refermer une parenthèse qui n’aurait jamais due être ouverte.
Article écrit par Guillaume Declair
On a lu un excellent rapport de la Transformers Foundation qui debunke un certain nombre de mythes sur l'industrie du coton. Suite à sa lecture, nous avons corrigé plusieurs éléments de l'article :
Et sinon, aujourd'hui, on n'utilise plus que du coton bio pour nos vêtements.
1 Les pesticides restent sur la coque extérieure du coton. Et une fois la capsule de coton récoltée, la fibre est tellement lavée qu’on ne retrouve plus aucun pesticide dans les produits finis. D'après Antoine Guian, directeur du laboratoire d'essais textiles SMT.
2 Plein d’insectes rendent des services invisibles tout aussi nécessaires à l’agriculture : les coccinelles mangent les pucerons, les vers de terre aèrent et nourrissent le sol... Et puis les insectes sont mangés par des oiseaux qui sont eux-mêmes mangés par d’autres bêtes, etc.
3 A titre d'exemple, sous les effets du lobbying des industriels, le Scopaff (le comité qui doit définir l'application des lois européennes en matière d'agriculture) a refusé à 27 reprises (!) de trancher sur un nouveau process d'homologation des pesticides qui prend en compte la toxicité chronique sur les abeilles (selon Stéphane Foucart dans "Et le monde devint silencieux").
4 Les cultures pièges sont des cultures permettant d'attirer les nuisibles ailleurs, comme par exemple la luzerne pour les hétéroptères ou le pois chiche pour certaines chenilles.
5 Certes, les pourfendeurs du coton bio disent à raison que les cotonniers OGM sont plus productifs que les cotonniers non-OGM (dont les bio font partie) et nécessitent donc moins d’eau d’irrigation par rapport à la quantité produite. Mais il faut prendre en compte l’eau “grise”, c’est-à-dire l’eau polluée par les pesticides dont le volume est cinq fois moins important que dans l’agriculture conventionnelle selon l'ONG Water Footprint.
6 Ça ressemble étrangement à la stratégie de l’industrie du tabac dans les années 50. Quand les premières études démontrant le lien entre le tabac et le cancer sont tombées, les cigarettiers ne les ont pas contestées. Ils ont préféré financer énormément d’autres études (plus de 6000) pour montrer que le cancer pouvait avoir d’autres causes (hérédité, nutrition, etc.) et nous faire croire que fumer n’était pas très grave au regard de toutes les autres causes.
Qui on est pour dire ça ?
Vous êtes sur La Mode à l’Envers, un blog tenu par la marque de vêtements Loom. L'industrie textile file un mauvais coton et c'est la planète qui paye les pots cassés. Alors tout ce qu’on comprend sur le secteur, on essaye de vous l’expliquer ici. Parce que fabriquer des vêtements durables, c’est bien, mais dévoiler, partager ou inspirer, c’est encore plus puissant.
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Crédit illustration : Olivier Balez
Ça vous est déjà arrivé 10 000 fois : vous recevez une notification Instagram, vous ouvrez l’appli pour voir le commentaire laissé par votre pote et… vous tombez dans le vortex. Happé par le flux, vous passez dix minutes à scroller à travers le puits sans fond de votre fil Insta. Plusieurs fois par jour.
Et c’est très dur d’y résister car les concepteurs des Facebook, Instagram, Youtube ou Netflix jouent volontairement sur nos faiblesses psychologiques pour que nous passions le plus de temps possible sur leurs services.
Si on est tous plus ou moins au courant que les réseaux sociaux nous manipulent, ce dont on a moins conscience, c’est que 99,9% des sites de e-commerce utilisent des ressorts similaires non pas pour nous faire passer du temps sur leurs pages, mais pour nous inciter à la consommation.
On appelle ça les darks patterns : un arsenal de techniques qui se fondent non pas sur notre rationalité mais sur nos vulnérabilités.
On a tendance à penser que le cerveau humain est hyper rationnel quand il prend une décision. En réalité, il y a des éléments qui le font continuellement dévier de sa route cartésienne : les biais cognitifs.
Minute culture générale : un biais cognitif, c’est quelque chose qui fait que le cerveau se trompe systématiquement devant certaines situations. Exemple : répondez dans votre tête à la question “est-ce que vous conduisez mieux ou moins bien que la moyenne ?”. Ça y est ? Bah en fait, vous avez très probablement répondu, comme 9 personnes sur 10, que vous pensez conduire mieux que la moyenne. Ce qui veut dire que 4 d’entre vous se surestiment… tout en étant persuadés d’avoir raison. Ça s’appelle le “biais de surconfiance”, et tout le monde en est victime. Mais des biais comme celui-ci, il y en a des dizaines et des dizaines.
Attention, la plupart du temps, ces biais sont utiles. Pour reprendre l’exemple du biais de surconfiance, c’est lui qui nous invite à prendre des risques qui nous font avancer, alors qu’un raisonnement analytique trop poussé pourrait nous paralyser. C’était utile aux humains il y a 10 000 ans quand il fallait s’aventurer dans la forêt pour aller chasser (au risque de se faire croquer) et ça l’est encore aujourd’hui quand ça nous incite à quitter un travail qui nous rend malheureux.
Mais dans le cas du commerce en ligne, ces biais cognitifs sont utilisés dans le cadre de techniques qui n'ont qu'un seul but : nous faire acheter plus. Ces techniques de vente, vous les connaissez déjà probablement très bien.
Le “biais de rareté” nous fait accorder une préférence disproportionnée à tout ce qui apparaît rare. C’était utile au paléolithique quand il fallait se motiver à poursuivre un sanglier pour ne pas mourir de faim, dans un monde où les ressources disponibles étaient vraiment limitées.
Mais aujourd’hui, avec un supermarché à chaque coin de rue, les marques recréent cette rareté artificiellement : ventes flash, annonces de stock limités, collabs, renouvellement hyper rapide des collections, drops (ces produits en édition ultra-limitée poussés via les réseaux sociaux).
Dans ces cas-là, quand il nous fait acheter trop cher une paire de chaussures dont nous n’avons pas besoin, le biais de rareté joue contre nous. Idem quand ça nous fait réserver une chambre d’hôtel un peu moisie parce que 10 AUTRES PERSONNES SONT EN TRAIN DE REGARDER CE LOGEMENT ET QUE Y EN AURA PAS POUR TOUT LE MONDE.
L’exemple typique, c’est le prix barré : on vous explique que le produit valait beaucoup plus cher avant (alors que ce prix est artificiellement élevé) ou qu’il vaut beaucoup plus cher ailleurs (sans jamais trop comprendre d’où vient le chiffre).
Nous sommes alors victimes du biais d’ancrage : notre cerveau considère le prix de référence comme un point d'ancrage et lui attribue une importance disproportionnée. Peu importe si le prix barré est fiable, nous sommes complètement influencés. Exactement comme quand un interlocuteur vous annonce un prix très élevé au départ d’une négociation, c’est très difficile psychologiquement de lui répondre avec un chiffre beaucoup plus bas.
Ça, c’est quand on vous conseille de compléter votre panier avec des “articles que les autres clients ont aussi achetés” ou des “produits fréquemment achetés ensemble”.
Sous couvert de vouloir rendre service au client en lui évitant d'oublier un article “complémentaire”, le site reprend les bonnes vieilles techniques de vente croisée mais en démultipliant son impact grâce à l’effet groupe : en gros, un individu préférera toujours imiter le groupe (quitte à se tromper) plutôt qu’avoir raison tout seul (on vous renvoie au génial test des bâtons de Solomon Asch si vous voulez voir à quel point cet effet est puissant).
Vous vous êtes certainement déjà retrouvé.e dans cette situation où vous parlez d'un parfum à vos amis autour d'un verre et, cinq minutes plus tard, en vous promenant sur Facebook, Insta ou Lemonde.fr, vous voyez une pub pour ce même parfum. Et là vous vous dites "c'est pas possible, mon téléphone m'écoute".
Vous avez presque raison.
Votre téléphone ne vous écoute pas, mais il sait (parfois mieux que vous) ce qui vous intéresse rien qu'en analysant votre comportement en ligne de ces derniers jours. Quand vous vous promenez sur internet, tous les sites que vous visitez vont laisser un petit espion sur votre navigateur – on dit “cookie” pour faire plus mignon. C'est ce cookie qui est utilisé pour faire du “reciblage publicitaire”. Autrement dit, dans les semaines qui suivent, sur tous les sites que vous allez visiter, vous allez voir des pubs pour les produits ou services que vous avez cherché sur internet… Et il se peut que vous finissiez par craquer.
Ça s’appelle le principe de familiarité ou biais d’exposition, un biais cognitif qui sous-tend les campagnes de type matraquage publicitaire : plus vous allez voir un produit souvent, plus vous allez vous sentir familier avec ce produit, plus vous allez l’apprécier.
Un dernier biais pour la route : le biais des 9, qui explique pourquoi beaucoup de marques ont des prix qui se terminent par 9. Selon cette étude qui a comparé les ventes de vêtements féminins, un vêtement à 39 dollars aurait été vendu 31% de plus que celui à 34 dollars !
Et puis il y a des champions, qui arrivent à tout faire en même temps :
En mettant ces dark patterns en place, les marques ne pensent probablement pas faire mal, elles veulent simplement augmenter leur chiffre d’affaires. Et puis ces techniques sont parfois appliquées dans le monde réel : le vendeur au Starbucks qui vous demande si vous voulez un supplément caramel, le vendeur de voiture qui vous dit que le modèle que vous souhaitez est le dernier en stock, l'agent immobilier qui vous dit qu'il y a déjà "deux autres couples sur le coup"…
Alors c’est quoi le problème ?
Le premier problème, c’est qu’en ligne, ces techniques sont utilisées de manière si systématique et si optimisée que leur efficacité devient redoutable pour vous faire acheter des choses dont vous n’avez pas besoin. Comme l’explique le biologiste E.O. Wilson, les humains ont “des émotions paléolithiques dans une monde de technologies toutes puissantes” : même le cerveau le plus intelligent et le plus averti ne peut pas lutter contre l’arsenal technologique mis en place pour le manipuler. Exactement comme au fast-food : le vendeur en caisse a beau vous demander de temps en temps si vous voulez ajouter un dessert ou prendre un menu XXL, rien ne remplace l’efficacité de la borne qui vous fait consommer en moyenne 34% de plus.
Or, dans un monde où la surproduction et la surconsommation mettent en péril notre avenir, les marques ont une responsabilité : celle de ne pas faire acheter à leurs clients plus que ce dont ils ont vraiment besoin. Ce n’est pas parce que les nouvelles technologies permettent de le faire qu’elles doivent le faire. Le mouvement “Humane Tech” de Tristan Harris plaide pour que les entreprises technologiques arrêtent de jouer sur nos vulnérabilités pour s’approprier tout notre temps d’attention. De la même manière, les marques en ligne doivent arrêter de nous manipuler pour nous faire surconsommer.
Le deuxième problème, tout aussi important, c’est que ces dark patterns nous font ressentir du stress, de la peur, de la frustration... Des sentiments hyper négatifs qu'on ressent déjà suffisamment par ailleurs dans nos vies.
Certes, les dark patterns sont ultra-efficaces pour vendre vite et beaucoup. Mais une marque qui ferait le pari de l'honnêteté peut faire tout aussi bien. Oui, c'est toujours tentant de cliquer sur "acheter" quand vous voyez -70%. Par contre, sur le long terme, vous préférerez toujours votre pull qui tient à celui que vous avez acheté juste parce qu’il était en promo. En fait, c’est un peu comme refuser de céder au côté obscur pour essayer de maîtriser le côté vertueux de la force : c’est plus lent et plus laborieux, mais in fine, beaucoup puis puissant.
Le simple fait de prendre conscience de l’existence des dark patterns permet déjà de réduire leur portée. Alors ouvrez l'oeil, et que la force soit avec vous.
Pendant longtemps, on a appliqué pas mal de ces dark patterns sur Loom. Parce qu’on ne s’était pas vraiment posé la question.
Bon mais en y réfléchissant, on n'a pas très envie de vous manipuler ni de vous faire acheter ce dont vous n’avez pas besoin. Par le passé, la précommande, le reciblage publicitaire, les promos, l'affichage de stocks limités ont été des outils précieux pour le développement de Loom mais aujourd'hui, nous pouvons nous permettre d'y renoncer.
Alors pour ne jamais plus être tenté par les dark patterns, on prend les engagements suivants :
Qui on est pour dire ça ?
Vous êtes sur La Mode à l’Envers, un blog tenu par la marque de vêtements Loom. L'industrie textile file un mauvais coton et c'est la planète qui paye les pots cassés. Alors tout ce qu’on comprend sur le secteur, on essaye de vous l’expliquer ici. Parce que fabriquer des vêtements durables, c’est bien, mais dévoiler, partager ou inspirer, c’est encore plus puissant.
Si vous aimez ce qu’on écrit et que vous en voulez encore, abonnez-vous à notre newsletter en cliquant ici. Promis : on écrit peu et on ne spamme jamais.
Crédit illustration : Olivier Balez
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Belle citation ici
@bsaremyinitials My life has been a lie. #lifehack #toweltrick ♬ original sound - braydensingley
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