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L’usage du cuir par les marques éthiques et/ou éco-responsables est controversé. Chez Loom, nous avons fait le choix de l’utiliser pour nos prochaines baskets : nous vous expliquons ici pourquoi. On est conscient que notre point de vue n'est pas partagé par tout le monde : pour certaines personnes, le critère de la souffrance animale ne peut être mis en balance avec aucun autre, quel qu'en soit le prix. Notre objectif n’est absolument pas d'essayer de les rallier à notre position. Ce qu’on a essayé, c’est d’être les plus honnêtes et transparents possible dans notre démarche, et on espère que ça aidera des gens à se faire un avis sur ce sujet. Ah, et si on s’est trompé quelque part, n’hésitez pas à nous le dire.

Quand on a voulu lancer nos baskets, on avait en gros deux options pour la matière :

  1. Du cuir animal (bovin en l’occurrence, de loin le principal utilisé dans la chaussure)
  2. Du cuir synthétique : les simili-cuirs (les cuirs “plastique” comme par exemple le “skaï”) et les cuirs dits végétaux (à base de déchets de pomme, d’ananas ou de raisin par exemple).

Pourquoi le cuir animal nous a paru être une bonne option ?

Le cuir bovin nous a paru être le meilleur choix. Son confort et sa résistance sont très difficiles à reproduire artificiellement. Eh oui : c’est quand même la peau d’un animal qui peut vivre dehors toute l’année.

Elles sont superbes, non ?

Les principaux avantages du cuir animal par rapport au cuir synthétique :

  • Il est quasi imperméable à l’eau
  • Il tient chaud tout en étant respirant
  • Il absorbe l'humidité de la transpiration ce qui empêche les odeurs
  • Il est confortable : dans le milieu de la chaussure, on dit qu’il a du “prêtant”. De la même manière que la peau s’adapte à l’animal quand il grandit, le cuir s’adapte à la forme du pied
  • Il est très résistant : tous les fournisseurs à qui on en a parlé sont tombés d'accord, les matières synthétiques craquèlent et s’abîment avec le temps alors que le cuir (s’il est bien nourri) résiste.

Mais tout le monde ne voyait pas les choses du même oeil que le nôtre.

Tout a commencé en août 2019. On expliquait sur Instagram ce qu’il y a de bien avec notre porte-cartes en cuir quand tout à coup :

Et même plus récemment, sous la vidéo de notre TEDx, entre deux commentaires enthousiastes :

loom cuir commentaires youtube

En gros, on nous disait que le cuir polluait et tuait des animaux, et qu’on ne pouvait donc pas être une marque éthique et fabriquer des produits en cuir.

Et pour être tout à fait honnête, on s'est rendu compte qu'on ne s'était pas posé suffisamment la question. D’ailleurs, si plein de marques dites "éthiques" abandonnent purement et simplement cette matière, c’est peut-être qu’il y a une bonne raison. Alors il était temps de vraiment de déterminer si on peut se considérer éthique et vendre du cuir. Ça impliquait de creuser trois énormes aspects du cuir :

  1. L’éthique animale
  2. La pollution environnementale
  3. La dimension sociale et sociétale

L'éthique animale : peut-on porter du cuir et respecter le bien-être animal ?

Avant de commencer, précisons une chose : oui, consommer du cuir encourage un peu l’élevage. On le dit parce que ce n’est pas du tout ce qu’affirme l’industrie du cuir. Selon eux, la valeur économique du cuir ne représente qu’une petite partie de la valeur d’une vache1, donc même si on arrêtait de revendre les peaux, on continuerait d’élever des vaches pour le lait et la viande. Bref, le cuir ne serait qu’un coproduit de l’industrie du lait et de la viande et industrie du cuir ne ferait que “valoriser des déchets”, qu’il faudrait autrement incinérer ou les laisser pourrir en décharge. Une sorte d’upcycling ancestral.

C’est en partie vrai, mais c’est quand même un peu trop facile… Si la peau des vaches n’était pas revendue, la rentabilité de l’élevage serait un petit peu moins élevée. Ça ne serait pas immédiat, mais sur le long terme, on peut imaginer qu’il y aurait un peu moins d’élevage.

La question du bien-être animal se pose donc bien pour le cuir.

D’ailleurs, elle se pose dans une bien plus grande mesure pour le lait2 qui représente la majeure partie de la valeur d’une vache laitière. Il n’y a pas de vache qu’on élève pour son lait que l’on ne tue ensuite pour sa viande – les vaches laitières finissent dans votre assiette. Dans ces conditions, si l’on considère qu’une entreprise n’est pas éthique car elle utilise du cuir, on doit porter le même jugement sur toutes celles qui utilisent du lait, du beurre, etc.

Petits beurres et kouign-amanns : si on considère que le cuir n’est pas éthique, ceux-là le sont encore moins.

Nous fermons les yeux sur un système qui fait souffrir les animaux

Avant de se faire prendre à partie sur ce sujet, on faisait un peu l’autruche sur les aspects éthiques de l’élevage. On avait bien vu passer quelques vidéos atroces d’abattoirs filmés par L214, mais on se disait qu’il restait possible de bosser avec des éleveurs qui font les choses bien et respectent leurs animaux.

Il faut dire que dans notre société urbaine de consommation, on est assez éloignés des réalités de l’élevage. Si on ne regarde que la pub et le marketing, on a l’impression que tout va bien.

Circulez, y a rien à voir : les animaux sont toujours heureux.

En fait, on a tellement détourné le regard qu’aujourd’hui, l’élevage industriel est devenu la norme, même en France. Vous savez : les poulets élevés en batterie, les cochons qui ne voient jamais la lumière du jour et vivent toute leur vie sur un minuscule morceau de sol bétonné…

Proportion d’élevage intensif en France selon L214 : pauvres lapins...

Mais quand on parle de cuir, c’est surtout à l’élevage bovin qu’il faut s’intéresser. Cette intensification est moins prononcée en France et en Europe (seulement 13% d’élevage intensif en France pour les vaches), mais ça l’est dans d’autres pays. Aux Etats-Unis par exemple, on favorise les parcs d’engraissement ou « feed lots » (des élevages intensifs de plus de 1000 bêtes) : les bêtes entassées dans des conditions atroces avec utilisation d’hormones de croissance, engraissement aux farines animales ou antibiotiques utilisés comme activateurs de croissance.

Le “Five Star Feedlot” de 19 000 vaches en Nouvelle-Zélande.

Comment a-t-on pu en arriver là ? En fait, c’est parce que la plupart d’entre nous n’accordons pas la même importance aux intérêts des animaux qu’à ceux des humains. On se dit que c’est “normal” ou “naturel” de manger de la viande, du fromage, de boire du lait ou de porter du cuir. Que c’est ce que les humains font depuis la nuit des temps, donc pas besoin de se retourner le cerveau sur ces questions de bien-être animal.

Mais en creusant le sujet, on a bien dû se rendre à l’évidence : nous devons accorder la même importance aux intérêts des animaux qu’à ceux des humains.

On vous explique tout maintenant. Si ça ne vous intéresse pas particulièrement, vous n’êtes pas obligés de lire ces lignes pour comprendre le reste de l'article et vous pouvez cliquer ici pour les sauter. Mais si vous ne connaissez pas du tout le sujet, ça peut vous intéresser.

Petit précis d’antispécisme (ou pourquoi il faut accorder la même importance aux intérêts des animaux qu’à ceux des humains)

Le premier penseur antispéciste s’appelle Peter Singer. Il pèse pas mal : son bouquin “La Libération Animale” écrit dans les années 70 a été vendu à plus d’un million d’exemplaires.

Peter Singer (à droite).

Selon lui, les “spécistes”, c’est-à-dire ceux qui considèrent les intérêts des animaux différemment de ceux des humains, adoptent les mêmes mécanismes de pensée que les racistes (qui considèrent les intérêts des autres “races” différemment) ou que les sexistes (qui considèrent les intérêts de l’autre sexe différemment). Toujours selon lui dans quelques décennies, vu les conditions dans lesquelles on élève les animaux aujourd’hui, nos enfants ou nos petits-enfants regarderont l’humanité contemporaine comme on regarde aujourd’hui les esclavagistes ou les hommes qui battent leur femme.

Quoi ? Au départ, quand on a entendu ça, on a commencé à dégainer (intellectuellement) un paquet d’objections pour justifier notre existence de mangeur de viande et de fromage, et de consommateur de cuir. Voici les principaux arguments qu’on a formulés… et comment les antispécistes nous ont rembarré à chaque fois :

1/ “C’est normal de faire de l’élevage, les humains ont toujours mangé de la viande ou porté du cuir.”

Ce à quoi les antispécistes répondent : “C’est vrai, mais ce n’est pas parce qu’une pratique est ancienne qu’elle est éthique. On a organisé des combats d’animaux pendant longtemps, ce n’est pas pour ça qu’on doit continuer. Et puis on est 7 milliards aujourd’hui, ça peut demander de changer nos pratiques par rapport au néolithique.”3

2/ “Mais manger de la viande, c’est naturel : regardez les animaux, ils se mangent entre eux."

Ce à quoi les antispécistes répondent : “Naturel ne veut pas dire moral. Certains animaux sont cannibales ou se violent entre eux. Est-ce qu’on doit les imiter pour autant ? Et puis certains carnivores sont obligés d’en manger d’autres pour survivre, pas nous.”

3/  “Ok mais on est d’une autre espèce, on a le droit. On est des humains, ce sont des ANIMAUX, c’est quand même pas la même chose ?”

Ce à quoi les antispécistes répondent : “Dire cela, c’est une croyance totalement arbitraire : ce n’est pas différent du comportement d’un esclavagiste qui discriminerait des personnes noires sur la base de leur couleur de peau”.

4/ “Mais c’est pas pareil : nous on a des facultés bien supérieures aux autres animaux : on est plus intelligent, on sait parler, utiliser des outils…”

Ce à quoi les antispécistes répondent : “Imaginons une société qui discrimine en fonction de l’intelligence par exemple. Les bébés ou les personnes en situation de handicap mental sévère sont moins capables de raisonner que les chimpanzés. Faudrait-il donc accorder des droits supérieurs aux chimpanzés pour autant ? C’est bien sûr impossible. Et on pourrait avoir le même type de raisonnement sur chacune des autres facultés humaines : on a appris lors des dernières décennies que certains animaux peuvent utiliser des outils, maîtriser des langages, avoir une conscience d’eux-même, etc. Il n’est donc pas pertinent de discriminer les êtres vivants en fonction de leurs facultés.”

5/ “Bon, mais il y a quand même une preuve qu’on doit manger des animaux, c’est qu’on a besoin de vitamine B12 pour survivre, qu’eux-seuls peuvent synthétiser”.

Ce à quoi les antispécistes répondent : “En effet, certains animaux comme les ruminants synthétisent la vitamine B12 via les bactéries présentent dans leurs intestins. Mais est-ce que c’est un problème de prendre des suppléments ? Après tout, on donne déjà des suppléments de vitamine D aux bébés pour compenser le manque de soleil et on enrichit le sel avec de l’iode pour éviter le crétinisme.”

6/ “Mais ça poserait des problèmes pour notre alimentation : l’agriculture traditionnelle n’est pas possible sans animaux. Il faut forcément fertiliser les sols avec du fumier (des déjections d’animaux) comme on l’a fait depuis la nuit des temps.”

Ce à quoi les antispécistes répondent : “Faux : on n’a pas besoin des animaux pour cultiver.”

Aaargh, ils sont énervants quand même. Alors on a passé du temps à défricher cette question sur l’agriculture. Et on a conclu que là aussi, ils ont (en partie) raison : l’agriculture traditionnelle sans animaux et sans engrais chimiques est tout à fait possible, même si elle est un peu moins facile. On vous explique pourquoi ci-dessous.

Parenthèse : une agriculture sans animaux est-elle possible ? 

Si on regarde notre histoire, on pourrait penser que les animaux sont indispensables au maintien de la fertilité des sols. Depuis l’Antiquité jusqu’au début de l’agriculture industrielle, dans toute l’Europe, on a utilisé des systèmes de rotation de cultures4 avec une année de jachère. Rien à voir avec les jachères actuelles imposées par la PAC qui sont juste des terrains nus. A l’époque, la jachère signifiait qu’on laisse le sol se reposer en faisant pousser une prairie et qu’on la fait pâturer par des animaux (c'est-à-dire qu'on laisse les animaux brouter l'herbe toute la journée, la digérer et la rejeter sous forme de fumier riche en nutriments pour le sol). Les tentatives de supprimer cette jachère en la remplaçant par de simples cultures restituantes en azote ont montré une diminution des rendements sur le long terme à cause des manques de phosphore ou de potasse (les principaux nutriments indispensables pour les plantes sont l’azote, le phosphore et la potasse)… Comme l’affirme l’agronome Pierre-Paul Dehérain au XIXe siècle : “pour que la jachère ait été conservée pendant des siècles, il fallait qu’elle eût quelques avantages.” Bah oui :  si on avait trouvé un système agricole plus productif, on aurait laissé tomber les animaux depuis longtemps, non ?

Oui mais voilà.

Depuis quelques décennies, nos connaissances en agronomie ont évolué. On sait maintenant que tout est cyclique et que les animaux ne “créent” pas de nutriments. Au XIXe siècle, on a compris que ce qui faisait l’intérêt des prairies en jachère, ce ne sont pas les animaux qui pâturent dessus mais surtout 1- certaines plantes qui fixent l’azote de l’air 2- l’activité des champignons mycorhiziens qui se plaisent particulièrement sous les prairies et qui permettent aux plantes de mieux fixer le phosphore et la potasse. Du coup, les animaux d’élevage ne sont plus que des intermédiaires inutiles : on peut très bien faire une jachère efficace sans animaux. Mais ce n’est pas fini : dans les années 70, on a même compris comment fixer le phosphore et le potassium sans faire de rotation des cultures : par exemple, on peut couvrir le sol de jeunes branches d’arbres broyées (du bois raméal fragmenté) pour recréer une sorte d'humus forestier qui favorise le développement des champignons mycorhiziens. Bref, dans la majeure partie du monde, on peut maintenant parfaitement imaginer de faire une agriculture cyclique sans animaux. Et il y a plein d’exemples dans le monde de personnes qui y arrivent déjà avec succès.

Alors adieu veaux, vaches, cochons ? Les animaux ne servent-ils absolument à rien dans le cadre d’une agriculture traditionnelle ? Non, ça serait aller un peu vite.

D’abord, le fumier permet de faire des “transferts de fertilité”. Par exemple, on peut faire pâturer les animaux dans les prairies non cultivées (40% des terres arables en France) ou non cultivables (en moyenne montagne par exemple), puis mettre les animaux à l’étable pendant la nuit ou l’hiver et y récupérer le fumier, avant de l’épandre sur les terres cultivées. Bref, les animaux ne créent pas de nutriments mais ils permettent de les concentrer sur certaines parcelles et donc de booster les rendements. C’est magique : ça permet d’avoir une production agricole plus élevée à travail humain équivalent (même si le potentiel de création de calories est moins grand : cela fournirait plus de calories si on cultivait à la fois le champ et la prairie).

D’autre part, les animaux rendent beaucoup de services aux agriculteurs, comme par exemple les poules qui mangent les insectes nuisibles aux cultures ou les cochons et les chèvres qui mangent les restes et nettoient les parcelles des ronces et des racines.

Enfin, l’énergie animale reste très utile (voire indispensable dans certains pays) pour les travaux dans les champs, par exemple pour faire les semis ou aérer les sols.

Pour finir, sur certaines terres dites “marginales”, trop pauvres pour être cultivées, seul l'élevage peut permettre de nourrir la population. Au Groenland, heureusement que les Inuits peuvent manger des phoques pour survivre. Au Sahel, heureusement qu’il y a du bétail en transhumance pour nourrir la population.

Conclusion : l’agriculture sans animaux et sans engrais chimiques est possible, mais elle est un peu plus galère. Fin de la parenthèse !

En tout cas, la philosophie antispéciste est très robuste : on a lu des dizaines et des dizaines d’articles, on a regardé des heures de débat télé avec Aymeric Caron et on a lu les 427 commentaires de “y a-t-il une manière morale de manger de la viande ?”, et tous les arguments qu’on a entendu habituellement contre l'antispécisme sont plutôt à ranger du côté des sophismes ou de la mauvaise foi.

Bon par contre pour la coupe de cheveux, on n’est pas d’accord. ET NON CE N’EST PAS PARCE QU’ON N’A PAS ASSEZ DE CHEVEUX POUR SE FAIRE LA MÊME !

Après avoir creusé ce sujet de l’antispécisme, on comprend que l’élevage n’est ni normal, ni naturel, ni nécessaire comme on l’entend souvent. Dès lors, si on veut justifier l’élevage, il n’y a qu’une seule question à se poser :

“Est-ce que le bien-être qu’on tire de l’élevage peut justifier la souffrance animale que ça peut générer ?”

Sachant que ce “bien-être” peut englober plusieurs dimensions. C’est d’abord bien sûr le plaisir gustatif quand on mange de la viande ou des produits laitiers ou le confort de porter des vêtements en cuir. Il y aussi l’attachement à un certain patrimoine culturel et gastronomique, la satisfaction de soutenir des petits éleveurs, le plaisir de voir des vaches gambader dans des prairies, l’insouciance de pouvoir manger sans trop penser à la composition de ses repas… Et il y aussi une forme de bien-être collectif. Même s’il est théoriquement possible d’avoir une agriculture sans animaux et sans engrais, en pratique, aujourd’hui, les petites exploitations agricoles vertueuses utilisent en immense majorité du fumier animal.

Quand on formule la question de l’élevage en ces termes, ça devient juste impossible de détourner le regard des conditions d’élevage comme on a trop souvent tendance à le faire. Qui pourrait dire que son plaisir ponctuel vaut PLUS que la souffrance d’un animal pendant toute une vie ? L’élevage industriel devient absolument intolérable : on ne peut plus détourner les yeux.

En fait, il n’y a que deux réponses possibles.

Première réponse : il faut abolir l’élevage, comme le demandent certains antispécistes. Tout le monde doit donc devenir “vegan” et cesser toute consommation de produits d’origine animale : le cuir, la laine, la viande, le lait, le fromage, les oeufs, le poisson. Les animaux ont le droit de vivre libres et mourir de leur belle mort, rien ne peut donc justifier de leur ôter ce droit juste pour notre plaisir personnel bref, rien ne peut justifier l'élevage.

Deuxième réponse : on peut faire de l’élevage mais à condition d’en retirer un maximum de souffrance animale. C’est la réponse dite “welfariste”5, celle de Peter Singer lui-même. Dans cas, il faut d’abord faire en sorte que les animaux puissent grandir sans souffrance dans des conditions adaptées à leur espèce : les animaux d’élevage sont des êtres sensibles dotés d’un système nerveux, donc ils veulent éviter de souffrir tout autant que nous. Deuxièmement, il faut les tuer de la façon la plus respectueuse possible. Contrairement aux abolitionnistes, les welfaristes estiment que les animaux d’élevage n’ont pas la même capacité à anticiper et à former des projets que les humains, donc qu’ils ne se rendent pas compte qu’ils vont être tués et ne souffrent donc pas de cette pensée tout au long de leur vie (pour les vaches, c’est ce que montre par exemple Temple Grandin, une des plus grandes spécialistes du comportement des bovins).

Mais est-ce que ce welfarisme est possible en pratique ?

Un élevage sans souffrance animale c'est possible ?

Si on est sûrs que les conditions de vie des animaux sont très mauvaises dans les élevages intensifs, ce n’est pas pour autant que les “petites fermes” familiales d’élevage bovin sont dépourvues de souffrance animale.

En France, plus de 80% des fermes sont de petites et moyennes exploitations qui élèvent moins de 100 bêtes. Et c’est vrai que parmi elles, plein de petits éleveurs s’engagent au quotidien pour le respect du bien-être animal. Par exemple, leur bétail pâture dehors la plupart de l’année, ils mettent de la paille à l’intérieur des bâtiments pour plus de confort, ils font attention à la douleur pendant les écornages6, ils nourrissent les veaux sous la mère, ils brossent leurs animaux, leur parlent, etc. Bref, il y a plein d’éleveurs qui aiment leurs bêtes et en prennent le plus grand soin, même s’ils doivent un jour les envoyer à l’abattoir.

Mais ce n’est pas le cas dans toutes ces fermes. Il y en a encore beaucoup d’autres où on pratique un écornage douloureux, des castrations à vif… Et dans les élevages laitiers, on sépare très souvent le veau de sa mère, on pratique des inséminations artificielles à répétition, on abat les mâles... En plus, certains éleveurs sont parfois dans de telles difficultés économiques qu’il n’est pas évident pour eux de se concentrer sur le bien-être animal : difficile d’aller faire des câlins à ses vaches quand on ne peut pas boucler sa fin du mois (donc avant de les blâmer, il faudrait déjà réorienter les subventions de la PAC vers les plus petits élevages).

Et puis il y a les abattoirs. Pour des raisons d'hygiène et de santé publique, l'abattage des animaux à la ferme est interdit en France. Alors les éleveurs n'ont donc pas d'autre choix que d'envoyer leurs bêtes à l'abattoir. Problème : il y existe souvent des dérives, dont certaines ont été mises en lumière par les vidéos glaçantes de L214. Et puis dans ces lieux, la souffrance animale côtoie aussi souvent la souffrance humaine avec des conditions de travail indignes7 pour les travailleurs. Et c’est sans compter les temps de trajet longs et stressants pour les éleveurs comme les bêtes. La solution la plus plausible pour diminuer la souffrance animale et l’abattage industriel serait le développement d’abattoirs mobiles, se déplaçant sur les lieux d’élevage comme c'est déjà le cas en Allemagne ou en Suède. Depuis quelques mois, des premières expérimentations ont été autorisées en France. Mais on est encore très loin de leur généralisation.

Comment réduire cette souffrance animale ?

Chez Loom, à long terme, nous voudrions bien sûr faire disparaître toute souffrance animale8. On ne voit pas toutes et tous les choses de la même façon : une partie de l’équipe pense qu’on devra un jour se passer d’élevage, d’autres aspirent à un élevage sans souffrance animale (schématiquement, laisser les vaches vivre avec leurs veaux, ne pas abattre systématiquement les mâles, imposer moins de gestations aux vaches quitte à avoir moins de lait, etc.).

Pour autant, si on veut améliorer le bien-être animal, nous ne pensons pas qu’il faille renoncer au cuir à court terme. Si on le boycotte, cela diminuerait la rentabilité des élevages existants et favoriserait les plus intensifs qui optimisent les coûts. Cela mettrait aussi un stress économique supplémentaire sur des petits éleveurs déjà précaires, qui ont déjà souvent du mal à diminuer leur fin de mois. Les actions en faveur du bien-être animal mais qui ne rapportent pas d’argent vont tendre à diminuer, et cela pourrait même accentuer le risque de maltraitance dans les fermes et les abattoirs. Albert Schweitzer disait : "Dans les abattoirs, ce n’est pas la méchanceté des hommes qui fait la souffrance animale, c’est la pression économique".

En revanche, nous devons à tout prix choisir un cuir issu des fermes les plus soigneuses avec leurs animaux, et les encourager à améliorer leurs pratiques, en acceptant de payer leur cuir plus cher par exemple. Sauf que voilà, il n’y a pas de traçabilité suffisante pour permettre ce genre de pratique.

Le cuir, son univers intraçable

A travers notre alimentation, il est possible de favoriser l’élevage paysan et de boycotter l’élevage industriel : on peut choisir de n’acheter que des produits en vente directe ou circuits courts issus de petites exploitations bio ou plein air, voire dans des restaurants, des boucheries ou des crèmeries qui ont des pratiques d'approvisionnement vertueuses et transparentes. Oui, ça coûte beaucoup plus cher, mais c’est le vrai prix de ces aliments et il faut de toute manière réduire notre consommation (en effet, il est impossible à un niveau national que tout le monde mange beaucoup de produits animaux : il n’y aurait jamais assez de petites fermes qui puissent produire autant).

Pour le cuir, c’est beaucoup plus difficile de “voter avec son porte-monnaie”. Contrairement au lait ou à la viande, il est quasi-impossible de savoir de quel type de ferme vient une peau. Aujourd’hui, dans les abattoirs, les peaux sont regroupées par lots plus ou moins homogènes selon leur qualité et leur poids, sans aucun type de marquage. Et les tanneries achètent ensuite les peaux à des abattoirs de différents pays. Donc même si une tannerie est basée en France, vous ne pouvez pas savoir avec certitude si le cuir que vous lui achetez provient d’une vache bio française ou d’une vache sacrée indienne, et vous pouvez encore moins savoir dans quel type de ferme cette vache a été élevée… Et la situation n’est pas prête de changer : il y a bien quelques expérimentations de traçabilité en cours poussées notamment par l’industrie du luxe (comme par exemple le marquage des peaux au laser) mais elles sont encore loin d’être mises en place.

A ce stade, le mieux que l’on puisse faire, c’est s’assurer que les peaux utilisées par la tannerie proviennent d’Europe, voire mieux, de France. Et aussi pousser la filière viande-cuir à mettre en place un système de traçabilité digne de ce nom.

Voilà nos réflexions en ce qui concerne l’éthique animale. Et du point de vue l’environnement, le cuir est-il vraiment le matériau le plus polluant ?

Est-ce que le cuir pollue plus que ses alternatives ?

Les gaz à effet de serre

Quand on parle pollution du cuir, ce sont principalement les gaz à effet de serre de l’élevage bovin dont il est question. À raison : l’élevage émet 14,5% des gaz à effets de serre de la planète9, et les deux-tiers proviennent des bovins. C’est énorme et c’est surtout à cause de deux choses :

  • D’abord, les vaches rotent du méthane, un gaz au pouvoir réchauffant 28 fois plus élevé que celui du CO210
  • Pour les nourrir, la plupart des élevages utilisent des céréales (souvent importées). Or la culture céréalière émet beaucoup de gaz à effets de serre, notamment à cause de la production d'engrais, de l'utilisation des machines et de la déforestation. Et puis il y a aussi des résidus d’engrais azotés : l’excédent se transforme en protoxyde d’azote, un gaz qui a de bons côtés (c’est du gaz hilarant) et de mauvais côtés (il est 300 fois plus réchauffant que le CO2).

Mais si on y regarde de plus près, on se rend compte que toutes les vaches ne polluent pas pareil. En Europe, les émissions de gaz à effet de serre d’un kilo de boeuf sont 4 fois moins élevées qu’en Amérique du Sud ou qu’en Asie du Sud. Pour plein de raisons : les pâturages des zones tempérées sont plus faciles à digérer pour les vaches qui émettent donc moins de méthane, on ne déforeste plus depuis longtemps, la productivité des élevages est très bonne car les animaux sont en bonne santé, la plupart des aliments sont produits sur place ce qui évite les transports, etc.

Les vaches européennes sont celles qui émettent le moins de gaz à effet de serre.

Et encore, en Europe, ces émissions de gaz à effet de serre sont probablement surestimées : cette étude ne tient pas compte du fait que les prairies absorbent une partie des émissions de méthane des ruminants : 20 à 60% des émissions selon les dernières études.

loom cuir petite maison dans la prairie
Merci à la famille Ingalls pour sa contribution à la captation des gaz à effet de serre.

La question est maintenant : est-ce que le cuir émet plus ou moins de gaz à effets de serre que ses alternatives ? Pour cela, regardons une étude de l’Ademe (l’Agence du gouvernement référente sur le sujet) qui a comparé les émissions des chaussures en cuir et celles des chaussures de sport et en tissu. Et là, surprise :

Les chaussures en cuir émettent moins de CO2 que les autres ! Bizarre, non ? Alors, certes, ça peut s’expliquer parce que tanner le cuir, ça demande moins d’énergie que de filer un fil, tisser et teindre une étoffe, un processus industriel qui demande d’utiliser des grosses machines qui consomment beaucoup d’électricité.

Mais en fait, on vient de mettre le doigt sur un sujet très sensible : quelle est la part de l’empreinte carbone de l’élevage qu’il faut allouer au cuir ? Dans cette étude, l’Ademe se base sur un référentiel qui attribue... 0% de l’impact de l’élevage au cuir. Ce qui peut se justifier par le raisonnement qu’on avait évoqué plus haut : ce qui détermine le volume d’élevage de vaches, c’est le lait et la viande, donc ça ne changera rien si on arrête de fabriquer de cuir. Mais on a déjà montré que ce raisonnement avait ses limites, alors regardons le référentiel européen (le Product Environmental Footprint) : il se base sur la valeur économique de la peau et attribue 3,5% de l’empreinte carbone de la carcasse au cuir, ce qui paraît plus proche de la réalité.

En se basant sur ce chiffre (et sur les émissions carbone des vaches en Europe d’où viendrait notre cuir), on a refait les calculs11 des émissions carbones des chaussures de l’Ademe (on vous les a mis sur ce lien), et voici ce que ça donne :

Ça change carrément la donne : l’empreinte carbone des chaussures en cuir est deux fois plus élevée que les autres.

Donc a priori, il faudrait y renoncer... Sauf que quand on veut analyser l’impact environnemental d’un produit, il faut regarder sa durée de vie. Or, le cuir, à condition qu’il soit bien entretenu, tient mieux dans la durée que la plupart des autres matières...

Est-ce que la même version en coton aurait tenu cinq siècles, hein ?

Donc faisons l’hypothèse qu’on a des chaussures en cuir de bonne confection et qu’on les fait durer deux fois plus longtemps que les autres. L’empreinte carbone serait alors à peu près équivalente entre les trois paires :

Bref, l’élevage mondial est un énorme problème pour le réchauffement climatique à cause de ses volumes, qui doivent être réduits d’urgence. Mais l’élevage européen est (un peu) moins problématique, et si on utilise son cuir pour fabriquer des produits qui durent vraiment longtemps, il peut même devenir plus écologique que ses alternatives.

Et pour le reste ?

La consommation d'eau

On lit parfois “qu’il faut 15000 litres d’eau pour produire un kilo de viande”. Pour le cuir, on peut aussi lire “quil faut 17000 litres d’eau pour faire un kilo de cuir”. C’est vrai qu’élever un boeuf, ça consomme de l’eau (comme un humain en fait) : pour qu’il boive directement mais surtout pour arroser les cultures qui vont servir à le nourrir.

Mais 93% de cette eau n’est que de l’eau de pluie qui arrose les prairies (on parle d’eau verte) : elle serait de toute façon tombée sur la prairie, élevage ou pas. En France, si on prend en compte les prélèvements réels d’eau et leur impact sur le milieu, la production d’un kilo de viande nécessite seulement 315 litres d’eau (issue des nappes phréatiques ou des cours d’eau, on parle d’eau bleue).

Mais 315 litres, c’est beaucoup ou pas beaucoup ? En fait, cette consommation d’eau bleue ne peut être interprétée que si on la compare à celle nécessaire pour produire l’équivalent calorique en végétaux, et voici ce que ça donne selon cette source :

On voit alors que le boeuf consomme certes pas mal d’eau, mais “seulement” deux fois plus que le maïs ou le soja, et beaucoup moins que le riz (si vous avez déjà vu une rizière…). Ce n’est donc pas rien, mais c’est surtout un problème dans les régions où il y a un stress hydrique : c’est plus embêtant en Inde qu’en Norvège par exemple.

Donc encore une fois, le pays d’origine du cuir est déterminant. S’il vient d’un pays où le climat est tempéré et le stress hydrique est rare, comme en Europe centrale ou en Europe du Nord par exemple, l’eau n’est pas un problème.

Pour être complet sur les problèmes posés par l’élevage, il faudrait également penser aux problèmes de sécurité alimentaire (il occupe 60% des terres fertiles mondiales pour produire seulement 18% des calories), l'eutrophisation (les fameuses “marées vertes”) et l’augmentation de la résistance antibiotique… Ils fournissent une raison supplémentaire de s’éloigner de l’élevage industriel, qui en est le principal responsable. Mais sortons du sujet élevage pour regarder celui du tannage.

La pollution liée au tannage

Transformer une peau d’animal en cuir, ça ne se fait pas tout seul : ça requiert un long processus appelé “tannage”. On peut tanner le cuir à l’ancienne, c’est-à-dire en utilisant des tanins végétaux (et dans ce cas on parle de tannage végétal).  Mais comme ce procédé est plutôt long (et donc coûteux), la méthode la plus utilisée dans le secteur, c’est le tannage à base de sels de chrome.

Il y a un revers à la médaille : le tannage au chrome est certes plus rapide, mais, les résidus de chromes sont dangereux pour la santé. Heureusement, pour qu’un produit en cuir soit commercialisé en Europe, il doit contenir un taux de chrome suffisamment bas. Donc côté santé des consommateurs européens, on est à peu près tranquille (même si bon…).

Le problème est plutôt du côté de la production. S’il n’est pas traité, le chrome pollue l’environnement direct des tanneries et empoisonne les ouvriers et populations locales. Ce n’est pas un souci en Europe (grâce à la directive européenne n°2000/60/CE qui encadre ces pratiques), mais plutôt dans toutes les zones productrices de cuir sans réglementation protectrice (au Maroc, mais surtout au Bangladesh et en Inde).

Bref, le tannage du cuir n’est pas un problème environnemental s’il est réalisé dans une tannerie européenne, car la loi l'oblige a protèger la santé de ses salariés et à traiter ses eaux polluées. Par contre, c’est une catastrophe s’il provient d’une tannerie indienne qui relâche les résidus de chrome dans le Gange.

Pour conclure sur notre utilisation du cuir, on doit encore regarder un 3e sujet hyper important.

La dimension sociale et sociétale

Entre un cuir animal et cuir synthétique, il y a une différence fondamentale : le type d’industries et d’emplois que ça sous-tend aujourd’hui. De la même manière qu’on a creusé le processus de production du cuir animal, on a étudié celui du cuir synthétique. Pour rappel, ce cuir regroupe deux grandes familles : les simili-cuirs (le cuir “plastique” comme par exemple le “skaï”) et les cuirs dits végétaux (à base de déchets de pomme, d’ananas ou de raisin par exemple).

Pour que ces matières soient résistantes et imperméables, elles suivent à peu près le même processus de fabrication :

1 - On fabrique une sous-couche de textile, à base de polyamide pour les simili-cuirs ou de déchets végétaux pour les cuirs dits végétaux.

2- On “enduit” ce textile d’une résine de polyuréthane pour lui apporter de l’imperméabilité et de la résistance.

Exemple de processus d’enduction pour le cuir d’ananas.

Alors bien sûr, une base textile faite à partir de déchets végétaux, c’est génial : le meilleur recyclage imaginable, une sorte de compost nouvelle génération. Mais le problème, c’est que l'enduction de polyuréthane représente quand même une grosse partie de la matière : 50% pour le Végéa (cuir de raisin) ou l’Apple Skin (cuir de pomme), 42% pour le Pinatex (cuir d’ananas).

Or qui dit polyuréthane, dit pétrochimie, avec extraction pétrolière et raffineries. Certes, on pourrait essayer de “bio-sourcer” ce polyuréthane en utilisant non pas du pétrole mais de la biomasse végétale. Mais pour l’instant on y arrive que partiellement, notamment en raisons de problèmes de coûts et de qualité. D’autre part, biosourcé ou pas, pour obtenir du polyuréthane, il faut un processus industriel complexe, dans de grosses usines chimiques, pour transformer des matières premières.

En revanche, pour le cuir animal, pas besoin de hautes technologies ou de processus industriels très complexes, il suffit d’élever des vaches et de tanner les peaux, ce qu’on sait faire (plus ou moins bien) depuis des milliers d’années.

Bref, le cuir synthétique impose (pour l’instant) un monde high-tech quand le cuir animal peut permettre un monde low-tech. Un peu comme quand on compare la production d’une voiture Tesla à celle d'un vélo. Qu’est-ce que ça change ? Pas mal de choses en fait :

  • Le low-tech favorise des structures économiques à taille humaine avec des emplois locaux, quand le high-tech impose un système économique et industriel complexe plus mondialisé. Par exemple, pour le cuir animal, on peut choisir de travailler avec des petits éleveurs et des tanneries de taille moyenne, en France ou en Europe. Pour le polyuréthane nécessaire pour le cuir synthétique, les principaux producteurs mondiaux sont BASF, Bayer, Dow Chemical… des entreprises chimiques géantes et ultra-mondialisées, les mêmes qui alimentent le système agricole intensif (coucou le conglomérat Bayer-Monsanto), et dont les modèles sont en grande partie responsables de la crise environnementale dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui (on vous en a déjà parlé longuement ici).
  • Le low-tech permet plus de sobriété en termes de consommation d’énergie et de ressources. On peut produire du cuir animal avec une prairie, quelques vaches et une petite tannerie. Pour le cuir synthétique, il faut aujourd’hui forcément une grosse usine et des machines, qui vont consommer de l’électricité, des métaux rares, etc.
  • Dans le low-tech, les humains maîtrisent pleinement leurs outils de production, alors que dans le high-tech, les humains perdent leur autonomie et peuvent être asservis par les technologies. Un éleveur peut par exemple maîtriser son activité de A à Z, depuis la production de nourriture jusqu’à l’abattoir. Dans une activité très industrielle et globalisée, chaque individu n’est qu’un petit maillon d’une chaîne beaucoup plus complexe, ce qui peut faire perdre du sens dans le travail qu’on fait au quotidien, voire être aliénant dans certains cas.

Bien sûr, on ne dit pas qu’il faut jeter toutes les hautes technologies par la fenêtre : on en utilise nous-même tous les jours, à commencer par nos ordinateurs. Simplement, on se dit que si on peut obtenir un niveau de confort acceptable sans les hautes technologies, mieux vaut y renoncer en raison de leurs conséquences négatives. De la même façon que chez Loom, on préfère aller au boulot à vélo qu’en voiture, aujourd’hui, on préfère le cuir animal au cuir synthétique.

Il y a aussi une vraie question sociale à court terme pour les éleveurs et les agriculteurs, en cas de transition vers du cuir synthétique. On a vu tout à l’heure que l’arrêt ou la diminution de la consommation de cuir risquent de faire disparaître les modèles de fermes paysannes au profit de l’agriculture intensive.

Et qu’est-ce qui se passerait demain si on faisait moins de l’élevage ? Aujourd’hui, l’agriculture sans animaux est certes théoriquement possible, mais elle reste encore expérimentale. Presque toutes les fermes qui refusent le modèle industriel utilisent aujourd’hui du fumier animal. Sans ce fumier, il faudrait se tourner plus largement vers les engrais chimiques (produit d’ailleurs par les mêmes grosses entreprises qui fournissent la matière première pour faire du cuir synthétique), ce qui n’est pas non plus souhaitable. Pour transitionner vers une agriculture paysanne sans animaux, il faut que de telles fermes existent, servent d’exemple, essaiment et deviennent la norme, et si cela doit arriver, cela va prendre beaucoup beaucoup de temps.

Alors in fine, c'est bien ou pas le cuir ?

Voici un petit récap de ce qu’on s’est dit :

  • Performance : le cuir est d’une résistance, d’un confort et d’une imperméabilité très difficiles à reproduire artificiellement pour des baskets qu'on porte toute l'année.
  • Éthique animale : Nous savons à l’heure actuelle qu’il est impossible de garantir un élevage sans souffrance animale, mais nous pensons qu’à court terme, la meilleure stratégie en faveur du bien-être animal est de faire disparaître l'élevage industriel et de favoriser le maintien et de le développement des petits élevages extensifs et aux pratiques vertueuses. Pour cela, il faut choisir du cuir produit en Europe et à moyen terme pousser un système de traçabilité du cuir qui permette de choisir des peaux provenant des élevages les plus vertueux.
  • Pollution environnementale : l’élevage est certes un très gros contributeur de gaz à effets de serre, mais beaucoup moins en Europe. Donc à condition 1- que notre cuir soit d’origine européenne et que 2- la basket en cuir tienne au moins deux fois plus longtemps que les autres, elle peut émettre moins de gaz à effets de serre qu’une basket en tissu ou en synthétique.
  • Dimension sociale et sociétale : tous les cuirs synthétiques, y compris à base de déchets végétaux, nécessitent un processus industriel complexe, notamment à cause de l’utilisation de polyuréthane. Ils sont donc aujourd’hui encore largement dépendants de l’industrie pétrolière et/ou chimique, dont le modèle high-tech nous paraît moins souhaitable que celui de l’élevage traditionnel et du tannage, qui favorise une économie plus locale, plus frugale, et à taille plus humaine.

Pour le cuir comme pour la plupart des problèmes environnementaux actuels, le poison est dans la dose : il est nécessaire de produire moins et mieux. Pour nous, cela se traduit par 1) fabriquer des produits en cuir qui durent le plus longtemps possible 2) choisir un cuir élevé, tanné et assemblé en Europe.

Qu'est-ce que ça veut dire pour la suite ?

Notre décision pour nos baskets

Nous avons décidé pour nos baskets d'utiliser du cuir animal, avec les conditions suivantes :

  • Nous choisissons du cuir bovin. L’intérieur de certaines chaussures est aujourd’hui en cuir de porc, et étant donné les conditions actuelles d’élevage, la probabilité que le porc n’ait pas souffert est la même que de gagner au Loto.
  • Nous passons par des tanneries de confiance au Portugal et en Espagne et un cuir d’origine européenne, qu’on sait a priori plus respectueux du bien-être animal et moins polluant que les autres.
  • Nous avons fait de notre mieux pour que la basket dure le plus longtemps possible pour baisser l’impact environnemental de la production de cuir. Par exemple, nous avons fait le choix d’une semelle non recyclée plutôt que recyclée (ce qui ne joue presque pas sur les émissions de gaz à effet de serre) car ça peut augmenter la durée de vie de l’ensemble de la basket de 30%. Afin d’améliorer encore la durabilité de cette basket, nous avons plusieurs pistes à étudier : amélioration de la résistance de la semelle (principal point de fragilité des baskets en général), amélioration de la réparabilité, pédagogie sur l’entretien, changement de couleur (oui, tout le monde porte des baskets en cuir blanc, mais il faut reconnaître que ce n’est pas la moins salissante…)

Et après ?

On va suivre de près ce qui se passe du côté des cuirs synthétiques à base de végétaux et voir s’ils évoluent dans la bonne direction : vers plus de résistance et de confort, vers moins de plastique, vers des systèmes de production plus locaux, plus low-tech. Si on y arrive, génial : on tendrait alors vers un monde moins pollué et une société plus résiliente, sans souffrance animale ni humaine. Dans ce cas, nous renoncerons avec plaisir au cuir animal.

Mais comme on l’a vu, pour l’instant, on n’y est pas encore. Alors en attendant, nous nous efforcerons de surmonter les deux principales limites du cuir animal :

  1. La traçabilité : nous remonterons au maximum la filière du cuir pour pouvoir garantir que les peaux sont issues d’élevages traditionnels pastoraux avec le moins de  souffrance animale possible. Notre pouvoir économique est très limité (notre chiffre d’affaires est ridicule par rapport à celui des grosses marques) mais en écrivant ce genre d’article et en parlant de ce sujet avec nos différents interlocuteurs, nous espérons pouvoir contribuer à faire évoluer la filière cuir sur la question de la traçabilité.
  2. La durée de vie de nos produits en cuir12 : pour nous permettre de produire moins, nous devons faire en sorte que nos produits durent le plus longtemps possible. Ça tombe bien, c’est ce qu’on essaye de faire depuis que Loom existe.

Et pour nos autres produits potentiellement en cuir, nous trancherons au cas par cas. Par exemple, il nous semble clair qu’un patch de jeans en cuir n’a qu’un intérêt uniquement esthétique et que nous devons y renoncer. Pour les ceintures et les portes-cartes, nous devrons peut-être mener des tests de résistances comparés avec d’autres matières naturelles pour nous décider.

Voilà

Cette question du cuir est une des plus difficiles qu’on ait jamais eues à traiter, parce qu’elle demande de concilier quatre facteurs parfois contradictoires : notre bien-être, l’éthique animale, la pollution environnementale et la question sociale et sociétale. Pour répondre aux critiques dont on vous parlait au début de l'article, il nous aurait été beaucoup plus facile, soit de renoncer au cuir, soit de justifier son utilisation en disant que c’est juste un déchet de l’élevage que l’on valorise. Mais l’objectif de cet article n’est pas de convaincre les sceptiques de notre engagement éthique et environnemental (c’est à peu près sûr qu’on ne les fera pas changer d’avis) mais de comprendre le sujet en profondeur pour faire les choix qui aient le plus petit impact possible sur la planète et les humains. Bref, de construire notre avis et de vous donner tous les éléments pour que vous puissiez vous faire le vôtre.

Article écrit par Guillaume Declair

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PS : Que faire à votre échelle pour minimiser l’impact de l’élevage ?

Si vous voulez être quasi certain·e13 de ne causer aucune souffrance animale et que vous avez le courage de le faire, il n’y a qu’une solution : devenir vegan, et laisser tomber le cuir, la viande, les produits laitiers, le poisson et les oeufs. Sinon, voici ce que vous pouvez faire à votre échelle pour minimiser la souffrance animale et la pollution environnementale :

  • Manger BEAUCOUP, BEAUCOUP moins de viande et de produits laitiers. En France, on s’est engagés à diviser par 4 nos émissions de gaz à effets de serre. Si on l’applique à l’élevage, il faut que chacun d’entre nous divise donc par 4 sa consommation de viande, de lait, de yaourt, de fromage, d’oeufs… Donc en gros, passer de 10 repas avec viande par semaine, à 2 ou 3. Et puis ça sera bien mieux pour notre santé.
  • Ne choisir que de la viande et des produits laitiers venant de petits élevages respectueux des animaux et de l’environnement. Comme la viande et le lait constituent de très loin l’essentiel de la valeur économique d’un animal, c’est ce qui aura le plus d’impact si on veut faire disparaître l’élevage industriel et favoriser l’élevage paysan.
  • Faire bouger les choses, par exemple en signant cette pétition GreenPeace pour réformer la Politique Agricole Commune en faveur des petits élevages. Aujourd’hui, un agriculteur sur 5 vit sous le seuil de pauvreté en Europe. Cette pétition demande de réallouer les subventions européennes, qui sont actuellement dirigées vers les fermes les plus intensives, vers les élevages plus traditionnels.

Concernant le cuir, vous avez aussi le pouvoir de changer les choses :

  • Gardez vos produits en cuir beaucoup plus longtemps. Et pour ça, achetez des produits en cuir de bonne qualité, mais surtout prenez-en soin comme jamais.
  • Sélectionnez des produits en cuir pour des usages où ses propriétés de confort et de résistance sont vraiment mises à profit. Oui aux chaussures, non aux étuis à lunettes, aux coques d’iPad ou aux sièges de bagnole.
  • Dans la mesure du possible, assurez-vous que le cuir et le tannage viennent d’Europe. En tout cas, évitez au maximum les peaux qui viennent de pays comme le Brésil (où l’élevage participe directement à la déforestation), l’Inde (où les conditions d’élevage et d’abattage des vaches sont horribles) ou les Etats-Unis (spécialistes des fermes-usines et des hormones de croissance).
  • Mettez le prix. De la même manière qu’un t-shirt à 5€ a très certainement été produit dans des conditions de travail désastreuses et à un coût environnemental élevé, des baskets en cuir à moins de 100€ comportent sans doute du cuir de mauvaise qualité ou produit dans des mauvaises conditions. Mais soyez vigilant quand même : un produit en cuir cher ne veut pas dire qu’il a été bien produit : c’est peut-être la marge de la marque que vous payez, et non la matière première.
  • Achetez des produits en cuir de seconde main. C’est mieux mais pas parfait non plus : ça peut aussi faire des appels d’air pour la consommation de cuir vierge (un peu de la même manière que Vinted pousse aussi la consommation de vêtements neufs).

Pour aller plus loin, voici quelques ressources intéressantes qui nous aidé à écrire cet article :

Qui on est pour dire ça ? 
Vous êtes sur La Mode à l’Envers, un blog tenu par la marque de vêtements Loom. L'industrie textile file un mauvais coton et c'est la planète qui paye les pots cassés. Alors tout ce qu’on comprend sur le secteur, on essaye de vous l’expliquer ici. Parce que fabriquer des vêtements durables, c’est bien, mais dévoiler, partager ou inspirer, c’est encore plus puissant.
Si vous aimez ce qu’on écrit et que vous en voulez encore, abonnez-vous à notre newsletter en cliquant ici. Promis : on écrit peu et on ne spamme jamais.

Notes

1 Le “cinquième quartier” (peau et abats) ne représente en moyenne que 8% du prix de vente de la carcasse des gros bovins selon une étude de Blézat Consulting sur la demande de FranceAgriMer.

2 En plus, la souffrance animale est peut-être encore plus présente pour les vaches qu'on élève pour leur lait (dit laitières) que celles qu'on élève pour la viande (dites allaitantes), notamment en raison des gestations multiples imposées aux vaches et de la séparation séparation mère-veau.

3 Et en plus les usages gastronomiques ont énormément évolué au cours du XXe siècle : avant l'invention de l'élevage intensif, les gens ne mangeaient pas de la viande tous les jours. C'était considéré comme un met de luxe accessible uniquement aux plus riches. Certes l'espérance de vie humaine n'était pas aussi bonne qu'aujourd'hui mais le vieillissement de la population s'explique plus par des mesures d'hygiène que par la systématisation des menus carnivores.

4 Si vous vous rappelez de vos cours d'histoires géo, on appelait ça les systèmes d'assolement biennal ou triennal.

5 Philosophiquement, le welfarisme est ce qu'on appelle un "utilitarisme des préférences", qui a pour objectif de maximiser la satisfaction des préférences des êtres vivants. Au contraire, l'abolitionnisme est un "utilitarisme hédoniste" qui se donne pour objectif de maximiser le bien-être des individus dans l'absolu.

6 Action consistant à couper complètement ou partiellement les cornes d'un animal : on le fait pour pas que les vaches se blessent entre elles et qu’elles ne blessent pas l’agriculteur·trice.

7 Cf. le livre glaçant « Steak Machine » du journaliste Geoffrey Le Guilcher qui raconte quarante jours de travail dans un abattoir.

8 Nous savons qu'il s'agit d'un idéal vers lequel il faut tendre, comme celui d'un monde sans aucune souffrance humaine ou pollution environnementale : il y a peu de chances qu'on y arrive mais ça ne veut pas dire qu'on doit renoncer à cet objectif.

9 On affirme parfois que c'est autant que le secteur des transports (14%) alors que ces deux chiffres sont obtenus par des méthodes différentes. Le calcul pour l’élevage émane de la FAO, sur le modèle des analyses de cycle de vie, qui inclut diverses dimensions de l’élevage. Alors que le calcul pour les transports, qui émane du GIEC (Climate Change 2014 Synthesis Report - IPCC), ne prend en compte que les émissions de GES des véhicules en circulation. Par la méthode d’analyse de cycle de vie, cette valeur serait beaucoup plus élevée.

10 Même si la durée de vie du méthane dans l'atmosphère = 12 ans et celle du CO2 = 100 ans.

11 En fait, l'Ademe a également fait une analyse de sensibilité en se basant sur le Product Environmental Footprint, mais leur résultat montre que cela n'a a quasiment aucun impact sur l'empreinte carbone de la chaussure en cuir : on ne comprend vraiment pas comment c'est possible ! Si quelqu'un de l'Ademe veut nous envoyer la méthodologie derrière, on est preneur...

12 D’ailleurs, ces deux sujets sont très liés l’un à l’autre : des conditions d’élevage sans souffrance animale ne pourront être généralisées que si la consommation globale diminue drastiquement. C’est à cette seule condition qu’on pourra faire disparaître un jour l’élevage industriel.

13 Même en tant vegan, il n'est pas impossible de causer de la souffrance animale, car rien ne garantit que pour telle ou telle production de légumes, on n'a pas utilisé d'animaux.

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Dans la quasi totalité des cas, la tannerie ne voit pas la qualité du lot lors de l’achat, elle découvre les peaux une fois achetées.
Ce textile est un "non tissé", c'est-à-dire un textile dont les fibres sont aléatoirement disposées au moment de sa fabrication.
Pour le Pinatex par exemple, seul 15% du polyuréthane est biosourcé.
On a commencé à creuser, mais pour l'instant, changer la semelle coûterait presque autant que la chaussure elle-même... on a du boulot !
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