Le chino qu’on n’a plus voulu vendre
Le chino qu’on n’a plus voulu vendre
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Notre chino était-il plus bon que le plus bon de tes chinos1 ? (spoiler : non)
Chez Loom, notre mission, c'est de concevoir les vêtements les plus résistants possibles avec le plus petit impact sur la planète et les êtres humains, le tout sans faire exploser les prix. Autrement dit, on voudrait que nos vêtements aient le meilleur rapport “qualité-éthique-prix” .Mais en 2018, on a réalisé que ce n’était pas trop le cas de la deuxième génération de notre chino. On a acheté une demi-douzaine de chinos de diverses marques, et on a comparé la tenue des couleurs après six cycles de lavages-séchages un peu durs : 40°C sans les retourner (sacrilège) + sèche-linge. Et les résultats ne nous ont pas vraiment fait plaisir : sans être catastrophique, notre chino était loin d’être le plus résistant.
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On a donc décidé de ne pas passer de nouvelles commandes de ce chino et de rester en rupture de stock tant qu’on n'aurait pas augmenté la qualité d’un cran.
Un petit bout d’irréductible tissu
Un tissu, c'est un peu comme un plat au resto. Vous pouvez choisir celui avec les meilleurs ingrédients, parfois, la recette n'est pas ouf. Même si vous sélectionnez le meilleur fil, le meilleur tissage, la meilleure teinture, la seule façon de s’assurer que le tissu est le plus solide, c’est de tester. On a donc récupéré un maximum d’échantillons de fournisseurs et de compositions différentes, puis on les a passés une dizaine de fois en machine. Et on a découvert que, quelque part au fin fond d'un village gaulois, il existait un petit bout d'irréductible tissu qui résistait encore et toujours aux lavages. Et ce tissu, il était fabriqué par l'entreprise alsacienne Velcorix. Euh, pardon : Velcorex.
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Le métier de Velcorex, c’est de tisser et “d’ennoblir” les tissus, par exemple en les transformant en velours ou en leur appliquant une teinture (ça tombe bien). À l’heure où toute l’industrie textile française se délocalisait en Asie, le boss de Velcorex, Pierre Schmitt, a tout fait pour maintenir le business en Alsace en mettant le paquet sur la qualité. Bilan : l’usine emploie aujourd’hui 100 personnes et tourne à plein régime (vous pouvez l’écouter parler ici et nous rejoindre dans le club de ses fanzouz). Comme teinture et eaux usées font rarement bon ménage, ils ont construit leur propre station d‘épuration et tous leurs produits sont certifiés OEKO-TEX®. C’est comme ça qu’on arrive à avoir une usine textile au milieu du Parc naturel des Ballons des Vosges.
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À la recherche de la nouvelle star de la machine à coudre
Notre premier confectionneur était bien, mais pas top. On a réalisé que pour améliorer notre chino, il fallait qu'on travaille avec une usine qui soit autant orientée qualité que nous. C'est comme ça que les gars de Velcorex nous ont présenté Andreia. C’était en septembre 2018, Loom était encore petite et l’usine d’Andreia à Porto aussi. Depuis, Andreia a embauché une dizaine de personnes. Nos deux entreprises grandissent en parallèle, et on doit vous avouer que ça a créé entre nous un attachement un poil émotionnel.On a bossé avec elle sur chacun des points de fragilité des chinos :
- Les coutures craquent ? On a pris un fil de couture trois fois plus épais.
- Des fils peuvent être tirés à l’intérieur ? On a recouvert les coutures avec des biais pour que ça n’arrive pas.
- La ceinture s’affaisse avec le temps ? On l’a renforcée avec un thermocollant plus épais.
- Les boutons de la braguette finissent toujours par se découdre ? On passe à un zip (YKK, bien sûr) et un bouton métallique.
Et pour éviter de vous vendre un pantalon à plus de 100 euros, on a réfléchi avec elle à simplifier la confection : une seule poche arrière, pas de poche à pièce (qui s’en sert vraiment ?), pas de “V d’aisance” à l’arrière, imprimer la taille sur l'étiquette de compo plutôt que produire deux étiquettes différentes...
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Le patron des patrons
On a le tissu, on a le confectionneur, il nous manque plus qu’à développer le bon patronage. Certes, c’est important qu’un pantalon fasse de jolies fesses, mais pour prolonger la durabilité, une bonne coupe doit aussi minimiser les tensions sur les coutures et les frottements du tissu. On a donc fait appel à quelqu'un qui s'y connait, le modéliste pantalon d'une grande maison de couture. Ça nous a pris une demi-douzaine de prototypes pour arriver à une coupe qui nous satisfait vraiment.
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Teste-moi, déteste-moi mais surtout regarde moaaaaa
On ne veut pas refaire les mêmes erreurs qu’au début, alors on teste et on reste le chino. Première étape : lui faire subir plusieurs cycles de lavages-à-40°C-sèche-linge-et-tout-ça-sur-l’endroit. À l’oeil nu, vous pouvez voir que les résultats sont plutôt bons : il y a un peu de décoloration, mais la couleur tient très bien, même sur les zones de frottement comme la braguette et les passants de la ceinture.
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Deuxième étape : porter ce chino, beaucoup. Pendant plusieurs semaines, les garçons de l’équipe ont porté les prototypes successifs pour finalement ne plus quitter le modèle final (la légende dit qu’ils lavaient ce pantalon pendant la nuit pour pouvoir le remettre au matin). Bilan : non seulement il est hyper confortable (il a juste ce qu'il faut d’élasthanne pour enfourcher son vélo facilement), mais en plus, il se déforme très peu (il ne fait pas de “poches” au niveau des genoux, par exemple). Ça, c’est parce qu’il a un secret : notre tissu contient des filaments d’élastomultiester, qui lui permettent de très bien retrouver sa forme d’origine après avoir été détendu.
Personne n’est parfait
Ce chino n’est pas parfait. C’est seulement le meilleur compromis qu’on a trouvé à ce stade entre qualité, éthique et prix. Voici tout ce qui nous semble encore améliorable :
- Le tissu est mercerisé pour améliorer la résistance, mais au départ, ça le rend un peu brillant et électrostatique. Ces effets se dissipent après un ou deux lavages, mais on travaille sur le sujet pour changer ça.
- Avant d’être teinte en Alsace, l’étoffe est tissée au Pakistan. Pour exiger qu’elle soit tissée en Espagne ou en Alsace (ce qu’on a prévu de faire), il faut qu’on passe des commandes un peu plus grosses.
- Le coton utilisé est du coton conventionnel. On est en train de travailler avec Velcorex sur une version aussi résistante en coton biologique, mais on ne sait pas combien de temps cela va nous prendre.
- Un des secrets de résistance de ce chino, c’est l’utilisation d’élastomultiester (un dérivé du polyester).
- Même en simplifiant la confection et en réduisant notre marge au minimum, on ne peut pas le vendre au même prix que précédemment (60 euros). Il est donc un peu plus cher, à 75 euros.
Mise à jour janvier 2021
- Le coton du chino est maintenant bio.
- Le tissu est moins brillant et moins électrostatique que sur la 3e génération, grâce à une adaptation du processus de stabilisation du tissu.
- L'entrejambe est renforcé avec une couture doublée.
- Le tableau de mesures a été ajusté pour que le chino soit un peu moins large aux hanches.
- Le fil de coton et la toile sont produites plus localement : en Turquie pour la filature et en France pour le tissage.
- Le prix du chino est 5 euros plus élevé qu'auparavant, car il nous coûte 10% plus cher à produire.
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Notes
1 Cette formulation n'est pas une faute grammaticale mais une référence à "plus bonne que la plus bonne de tes copines" de NTM au cas où, comme un membre inattentif de l'équipe Loom, vous n'ayez pas compris la référence.
Qui on est pour dire ça ?
Vous êtes sur La Mode à l’Envers, un blog tenu par la marque de vêtements Loom. L'industrie textile file un mauvais coton et c'est la planète qui paye les pots cassés. Alors tout ce qu’on comprend sur le secteur, on essaye de vous l’expliquer ici. Parce que fabriquer des vêtements durables, c’est bien, mais dévoiler, partager ou inspirer, c’est encore plus puissant.
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